Mariage, Acte III, J-7

Dans une semaine à la même heure, on sera carrément en plein dedans.

Depuis maintenant deux mois que nous voilà unis pour le meilleur (tout court, puisque jusqu’ici on n’a pas vu la couleur du pire), je me suis habitué à l’idée d’être marié. C’est-à-dire que dans le fond rien ne change. J’en arrive même à appeler ma femme “ma femme” et non plus systématiquement “ma dulcinée” ou “ma chère et tendre” (Cédric, cette phrase t’est dédiée et arrête de rigoler comme un bossu 😉 ).
Et dans une semaine, on se remarie, cette fois devant les dieux. Je me sens l’âme d’Eddie Barclay à enchaîner deux mariages en deux mois… Au moins, je pourrai me vanter d’être bigame : j’aurai contracté deux unions sans divorcer entretemps. Avec la même femme, l’appellation de double monogamie serait peut-être plus appropriée, même si elle ne veut pas dire grand-chose.
Enfin, je pars encore en roue libre, c’est pas le sujet.

Toujours est-il que ma chère et tendre m’a demandé de glisser un mot sur les tenues de mariage. N’étant pas ce qu’on pourrait appeler un chroniqueur de mode avéré, à moi les joies du terrain glissant et du champ de mines. Je m’en tiendrai ici à la tenue traditionnelle dans la cérémonie shintō.

Mariage-Japonais

  • La coiffure est une composition qui relève de l’ingénierie. Le nom de l’édifice m’échappe, mes connaissances en japonais étant lacunaires dans ce domaine. J’ai comme dans l’idée que “chignon” est un peu léger pour désigner une telle pièce montée de tifs. De toute façon, il existe x variantes pour coiffer une mariée et, la langue nippone étant ce qu’elle est, il doit exister un terme spécifique pour chacune. Rien qu’avec 髷 (mage), on compte une petite quarantaine de composés, le plus connu étant 丁髷 (chon mage), le chignon porté par les samouraïs. Ah oui, sans oublier, que si la coiffure porte un nom spécifique, chacune de ses parties, chaque mèche disposée comme ceci ou comme cela, a également le sien. Aller chez le coiffeur relève de l’aventure lexicale, surtout pour un passionné comme moi qui divise le monde en quatre (long, moyen, court, chauve/rasé).
    Vu la quantité de cheveux nécessaires à la construction architecturale, beaucoup de femmes recourent à une perruque.
    Naturelle ou artificielle, cette Tour Eiffel capillaire s’agrémente d’ornements divers qu’on appelle kanzashi (簪). A la base, le terme désigne les épingles à cheveux, mais le sens s’est étendu, incluant aussi bien peigne planté dans le chignon que rubans, nœuds, bijoux, compositions florales et bitonios en tout genre. Kanzashi n’est qu’un générique, chaque bidule porte bien évidemment son petit nom. Yumi a d’ailleurs prévu de me les apprendre, au moins, ceux qu’elle arborera. Histoire de savoir quoi répondre si quelqu’un me dit que tel machin sur la mariée est fort joli. Je peux toujours balancer un “oui, merci” qui ne mange pas de pain, un peu comme le “c’est pas faux” kamelottien, mais l’astuce risque de s’éventer assez vite.
Quand je parlais de coiffure alambiquée...
Quand je parlais de coiffure alambiquée…
Se crêper le chignon impose de connaître la moitié du dictionnaire.
Se crêper le chignon impose de connaître la moitié du dictionnaire.
  • Le maquillage est un domaine où je m’y connais encore moins. Faudra que je pense à remercier Yumi pour son idée fabuleuse. Me demander d’écrire sur des sujets pareils, sans me filer une indication… J’ai déjà à peine le vocabulaire en français…
    La mariée se fait peinturlurer la gueule en blanc. Pour les geiko, acteurs de théâtre, stars du visual kei et autres gothic lolita adeptes du tartinage de tronche, on parle de shironuri (白塗), càd “peinture blanche”. Dans le genre explicite… Dans le cas d’une mariée, le maquillage est plus léger, on se contente de la pâlir. Interdiction absolue de tripoter le visage de la mariée sous peine de laisser des traces de doigts plein ses peintures de guerre. Lui faire la bise est exclu sauf à vouloir vous enfariner la poire. Rien que l’embrasser relèvera du tour de force vu que ses lèvres seront barbouillées de rouge.
Embrasser la mariée demandera plus de précautions que jongler avec des flacons de nitroglycérine.
Embrasser la mariée demandera plus de précautions que jongler avec des flacons de nitroglycérine.
  • Les accessoires. Là bizarrement, je sais de quoi je parle. Sans doute ma connaissance encyclopédique qui se manifeste dès lors qu’il s’agit d’accessoires de toute nature. Je pourrais disserter sur les godes en français, anglais, allemand ou japonais, même si ce talent de société me sert assez peu dans les conversations mondaines. Bref.
    Le bouquet, zéro. Enfin, si, Yumi en aura un avec sa robe de mariée occidentale pour le traditionnel lancer dans la foule (ブーケ・トス, būke tosu). Sachez que ledit lancer est chiqué et la cible – forcément une personne proche et célibataire – convenue à l’avance. Mais pour la partie shintō qui nous occupe, que dalle.
    Théoriquement, on charge la mariée comme une mule, sans doute pour l’habituer à porter les courses. En pratique, tout le bazar est miniaturisé ou représenté à titre symbolique.
    On trouve donc en premier lieu un éventail sur lequel je n’épilogue pas.
    Ensuite, le sac renfermant les “indispensables” trucs de nana – miroir, peigne, clé anglaise et un raton laveur –, porté directement sur le kimono au niveau de la poitrine (筥迫, hakoseko).
    Enfin, un étui avec moult cordons. Cet étui porte le doux nom de kaiken et désigne normalement un poignard. Kaiken s’écrit 懐剣, qu’on peut aussi lire futokorogatana, lequel peut aussi s’écrire 懐刀, ce dernier pouvant aussi avoir le sens métaphorique de “confident”. Comme quoi, c’est pas une langue facile ni simple… Mais tout se recoupe, vous allez voir. Vous me direz, un poignard pour un mariage, dans le genre bonne ambiance… L’usage vient évidemment des samouraïs, pour lesquels ne pas porter de lame est aussi indécent que se promener cul nu. Tel le maître et le chien qui finissent par se ressembler, qu’une femme de samouraï soit armée à l’image de son époux n’a rien de choquant. En tout cas, moins que comparer la femme à un chien comme je viens de le faire… A vrai dire, c’est même son mari qui l’équipe, parfois les beaux-parents. Le poignard est un présent qui a trois fonctions. 1) Un usage pratique comme arme de défense. Vu la violence ambiante de l’époque, ça pouvait toujours servir. 2) Une valeur symbolique d’union entre époux. A travers le poignard, le mari est toujours présent pour assurer la protection de sa femme et en même temps, il lui reconnaît la capacité de se défendre elle-même. Le côté paradoxal “tu m’appartiens” et “tu es assez grande pour te débrouiller”… Accessoirement, offrir une arme est un gage de confiance : on ne file pas un couteau à quelqu’un qui pourrait vous le planter dans le dos. 3) A la fois pratique et symbolique, le kaiken sert au suicide de l’épouse. Ici, quand on se marie “jusqu’à ce que la mort vous sépare”, on ne reste pas séparé longtemps. Bref, le kaiken est le croisement entre une alliance et un couteau suisse. Je dois encore faire une recherche complémentaire sur le sujet, ma femme restant très évasive quand je lui demande si elle aura vraiment un canif… alors qu’on m’a demandé de venir sans mes sabres. Toujours est-il qu’aujourd’hui, le kaiken reste un symbole de protection pour l’épouse. La mariée le porte coincé dans son obi avec les nœuds et cordons apparents par-dessus le manteau, le tout sur le sein gauche pour pouvoir dégainer de la main droite.
一 hakoseko ; 二 maruobi ; 三 kaiken ; 四 éventail ; 五 kakaeobi
一 hakoseko ; 二 obi ; 三 kaiken ; 四 éventail ; 五 autre obi
Et voilà comment on porte le hakoseko (1) et le kaiken (2).
Et voilà comment on porte le hakoseko (1) et le kaiken (2).
  • La ceinture ne s’appelle pas obi one en japanglais, parce qu’elle ne se porte jamais à l’unité. L’objet mériterait un article à lui seul, un jour peut-être…
    La mariée porte des kilomètres de ceinture(s). A moins de s’appeler Shiva et de posséder des bras à ne plus savoir qu’en faire, passer un obi demande de l’aide et relève de l’art. Parce “ceinture”, dit comme ça, on imagine un truc tout simple… que nenni !
    Il y a de base un obi (帯) qui ne s’appelle pas obi tout court, mais un mot composé selon le type (parce qu’il en existe évidemment des tas). C’est le maru obi (丸帯) qui s’y colle.  Cette ceinture n’est plus portée que dans les costumes très traditionnels, soit par les geiko, soit lors des mariages. D’abord parce que c’est un vêtement très formel qu’on ne met pas pour aller faire ses courses. Ensuite, parce qu’elle mesure dans les 4 mètres de long, pèse dans les 4 kg et ne s’enfile pas aussi facilement qu’une paire de gants. Vient en plus le kakae obi (抱帯) porté à hauteur des hanches, donc un chouïa en-dessous. Par-dessus, l’obi jime (帯締め) est une cordelette de soie qui maintient le tout, donc vachement important sans quoi l’édifice s’écroule. Elle peut s’agrémenter d’une babiole appelée obi dome (帯留), broche décorative que je ne cite que pour la comparer à “bibelot le obi” et placer un jeu de mot pourri. Se glisse aussi l’obi age (帯揚げ) qui se noue sur le devant pour maintenir l’obi makura (帯枕) à l’arrière. L’obi makura est (encore) une ceinture, qui a la particularité de comporter un coussin. C’est sur ce coussin qu’est construit le nœud qui orne le cul de la mariée. Ce nœud, à lui seul, est aussi complexe que le reste… Et il est fort possible que j’aie oublié une couche ou un cordon en cours de route. Pour donner une vague idée du formidable nombre d’épaisseurs, sur la photo juste au-dessus de ce paragraphe, tout ce qu’on voit entre le hakoseko cerclé en 1 et le bas de l’image, ben c’est différentes couches d’obi.
    Bref, je plains Yumi qui va devoir se trimballer 6 kilos de ceintures au total. C’est bien d’avoir des hobbies obi dans la vie, mais y a des limites.
  • Histoire de souffler après cette litanie de termes techniques très ennuyeux, les chaussures. Oubliez les escarpins de luxe, la mariée débarque en tongs. La classe, hein ? Des sandales (草履, zori) très simples et très blanches.
Sandales et un Mars.
Sandales et un Mars.
  • Le galurin. Il en existe deux modèles, soit le watabōshi (綿帽子) qui ressemble à une coquille d’œuf, soit le tsunokakushi (角隠し) qui revient peu ou prou à se coller une maquette de bateau sur la tête. Yumi portera le tsunokakushi, partant du principe que ce serait ballot de cacher ses cheveux sous une capuche après des heures de coiffure.
Tsunokakushi (à gauche) et watabōshi (à droite).
Tsunokakushi (à gauche) et watabōshi (à droite).
  • La robe proprement dite. On y arrive enfin !
    Passons sur les épaisseurs du dessous, jupons, sous-vêtements, puisqu’on ne les voit pas. Sachez quand même que ces oripeaux totalisent assez de métrage pour habiller une famille complète.
    Avec pied de biche et chausse-pieds s’il le faut, la mariée est arrimée dans un furisode (振袖), le kimono à manches longues des célibataires. Sa robe est blanche (白), signe de pureté, d’où son nom de shiromuku (白無垢).
    Au Japon, on se marie comme on meurt : en blanc. Remarquez en Occident, entre la robe maritale et le linceul, fut un temps où la nuance de couleur passait inaperçue… Cela dit, les Japonaises se mariaient aussi en noir avant la Seconde Guerre Mondiale et il n’est pas rare de nos jours qu’on enterre les morts dans le même ton jovial. Bref, des goûts, des couleurs et des modes… Les demoiselles d’honneur portent quant à elles des furisode colorés et surtout pas blancs. On aime la débauche de couleurs ou on déteste. Si vous soufrez d’épilepsie, vous n’aurez pas le temps de vous poser la question. Au premier mouvement du cortège, vous vous effondrerez la bave aux lèvres…
    Comparé au reste, le kimono va tout seul à enfiler… Mais en soi, c’est un art aussi d’apprendre à le mettre correctement. Pour avoir testé avec les kimonos masculins, bonjour la galère et le tour de main ne s’acquiert pas du premier coup.
    Des fois que toutes ces épaisseurs ne suffiraient pas, la mariée s’enrobe d’un manteau qui peut être blanc ou rouge, l’uchikake (打掛). Pourquoi rouge ? Attention, lapalissades en approche. Le rouge est associé à la vitalité, au sang (nan ? si !), au Soleil (ouaip !). Donc aux femmes. Pour le sang, ça coule de source, si je puis dire. Amaterasu (天照), la déesse solaire, est immanquable au milieu du drapeau nippon : le gros rond rouge. On trouve donc sur les vêtements féminins du rouge, souvent et beaucoup. Exposé inutile sur la symbolique du rouge, puisque ma femme portera l’uchikake blanc.
    (Merci, Maggie, pour m’avoir lancé là-dessus en me parlant de la symbolique du rouge en Chine. 😉 )
Version avant-guerre.
Version avant-guerre.
En rouge (des fois que vous ne l'auriez pas remarqué).
En rouge (des fois que vous ne l’auriez pas remarqué).
En blanc (merci la précision indispensable).
En blanc (merci la précision indispensable).

Je vous fais grâce (et à moi aussi par la même occasion) de l’exposé sur les tenues intermédiaires que ma chère et tendre portera pendant la réception qui suit la cérémonie religieuse. Elle changera de tenue rien moins que quatre fois. Deux kimonos pour certains rites obligés du banquet, une robe de soirée pour euh… la soirée.
Mais avant cela, au sortir du sanctuaire, ce sera vin d’honneur en robe de mariée à l’occidentale. Soi-disant pour faire honneur à mes origines barbares, du moins c’est la version officielle. De son propre aveu, c’est juste pour en porter une, parce qu’elle en rêve depuis longtemps. Enfin, je ne critique pas, puisque ladite robe me permettra d’exercer mon droit de cuissage mes talents de pêche à la jarretière.
Afin de souscrire à la coutume, je n’ai bien sûr pas eu le droit de voir la robe. Mais j’ai quand même une petite idée de sa marque. Yumi est une grande fan d’Ueto Aya qui a lancé sa propre ligne depuis quelques années.

A titre de comparaison, les hommes ont le choix entre une tenue.

Sobriété et élégance.
Sobriété et élégance.

Pour les ceusses que le sujet intéresse, il existe un lexique explicatif sur le mariage à cette adresse. Faut juste savoir lire le japonais pour en profiter.

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