De l’importance du mariage religieux

Ou l’art de naviguer entre la théorie et la pratique.
(Au passage, merci Cédric pour l’inspiration de ces lignes. 😉 )

Pourquoi le mariage religieux est-il important ?

  • Parce qu’il s’agit d’un engagement. Comme partout.
  • Par contre au Japon, la notion d’engagement est très (très très très très) importante. Historiquement et culturellement, engagement = copieux cérémonial, pour bien marquer que c’est du sérieux. Dans la vie d’un Japonais, une étape sans cérémonie, c’est comme un sapin de Noël (ou Rocco) sans ses boules : de l’amateurisme, du pipi de chat, des nèfles. Donc important, en partie par habitude des cérémonies. Le mariage civil représentant le degré zéro en terme de cérémonie marquante – encore moins qu’en France, c’est pour dire – on ne peut se rattraper que sur le mariage religieux (ou la réception mondaine) si on veut donner dans le solennel.
  • Pour les familles des mariés, comme partout dans le monde, c’est aussi l’occasion d’en mettre plein la vue à tous les invités. C’est aussi la dernière fois qu’ils font quelque chose pour leurs enfants en tant que parents. Et vu qu’ils passent leur vie à se sacrifier pour leurs gamins, rien qu’au niveau financier avec le tarif exorbitant de la scolarité, cette dernière fois est donc importante. Accessoirement, leurs finances seront lourdement mises à contribution, mais ils ont l’habitude. Parfois je me dis que c’est un peu comme si les parents faisaient péter le champagne pour arroser le départ du boulet financier que représente leur descendance.
  • Enfin, évidemment, c’est important pour les croyants, puisqu’il s’agit d’une union devant les dieux, donc ça ne rigole pas.

Bon, ça, c’était la théorie…
Evidemment, il y a un mais…

  • Un mariage coûte cher. Très cher, même. Pas tant le mariage religieux – mis à part la robe de la mariée qui coûte la peau des couil… qui coûte cher – que, la réception qui s’ensuit. Entre la location et déco de la salle, les vivres pour remplir le gosier de x invités, plus une tonne d’à-côtés qui, mis bout à bout, font grimper la facture très vite et très haut. Au Japon, en moyenne, on multiplie par 3 le tarif français (moyenne de 10000 euros en France pour 30000 au Japon). C’est dû à ce que je disais sur les parents qui claquent des sommes folles pour leurs enfants, plus à tout le faste de l’événement. D’autant plus que l’idée – théorique aussi, vu l’augmentation du nombre de divorces –, c’est de ne se marier qu’une fois, donc de pouvoir se permettre de claquer beaucoup puisque la chose n’est pas censé se reproduire.
    Rapporté à l’échelle d’une vie, la dépense est raisonnable finalement, mais sur le moment, encore faut-il pouvoir sortir une somme plus que rondelette. “Obèse” serait plus approprié. Donc coût dissuasif.
    Evidemment, pour revenir sur l’idée du divorce qui est devenu très à la mode ici aussi, le coût prohibitif d’UN mariage dissuade beaucoup de gens qui se remarient de repasser à la caisse. (Pour info, en 2009, il y eu 253408 divorces pour 707824 mariages, soit un tiers.)
  • Sur le plan strictement religieux, pas évident de s’avancer. Les notions de croyance, de foi, de superstition n’ont pas le même sens qu’en France. Je ne vais donc pas m’embarquer sur un terrain aussi glissant.
    M’enfin, j’ai croisé plusieurs cas de figure. Yumi, très croyante, donc mariage religieux indispensable. Un collègue, pas très croyant, mais surtout attaché aux rites et aux traditions associées à la religion. Il s’est donc marié chez les bouddhistes, comme ses parents, ses grands-parents, ses arrières-grands-parents (“je le fais parce qu’on l’a toujours fait”), surtout par convention sociale (“je le fais, parce que je le dois”). Enfin, une autre collègue, pas croyante pour deux sous, s’est mariée à la mairie et hop, affaire réglée.
    Comme en France, la loi oblige de se marier à la mairie avant tout autre forme de cérémonie. Etant déjà mariés aux yeux de la loi, certains en restent là, puisque le reste est superflu.
  • Enfin, dernier facteur, la mode occidentale. Une fois le mariage civil expédié, tout le monde organise un “truc” pour marquer le coup un minimum. La dernière mode, c’est d’organiser un mariage de style chrétien, avec une vraie mariée en robe blanche et un faux prêtre en soutane. C’est ridicule et ça ne ressemble à rien, kitsch comme pas permis, mais bon, c’est à la mode… Un faux mariage religieux remplace le vrai… Comme la réception est un passage quasi obligé, l’astuce permet d’économiser sur le mariage shintō ou bouddhiste… dont le prix varie beaucoup selon que vous choisissez un jour faste (大安) ou pas. La faveur des dieux se paie… Au lieu de louer un temple entier et son personnel, un simple prêtre-acteur fait l’affaire.
  • Et comme, même avec tout ça, le mariage reste super cher, certains Japonais vont simplement se marier à l’étranger pendant leurs rares vacances (Nouvel An, Golden Week en mai, été), notamment en Australie. En gros, vous partez en voyage de noce et vous vous mariez sur place.

Tout cet exposé pour dire que si le mariage religieux est très important en théorie, en pratique, certains s’en dispensent. Essentiellement pour des raisons d’argent. En fait, le religieux passe en second, le plus important, c’est qu’il y ait une cérémonie, même bidon à l’occidentale (qui représente quand même un mariage sur deux). Et même là aussi, vu la tendance montante des mariages à l’étranger, faut croire que les cérémonies de quelque nature que ce soit commencent à peser.
Ceci étant, le mariage religieux shintō traditionnel… oh, le double pléonasme ! Si c’est shintō, c’est forcément religieux et forcément traditionnel. Bref.
Ceci étant, disais-je, le mariage shintō (神前結婚, shinzen kekkon) a encore de beaux jours devant lui et reste très prisé. Le mariage a l’occidentale lui a ravi la première place pour des raisons de coût, de mode et de cérémonie allégée. D’un autre côté, le mariage shintō a une autre gueule et autrement plus de classe. (Non, non, je ne suis pas de parti pris.)

Et nous là-dedans ? Dans notre cas à nous, c’est obligé.

  • D’abord, la famille de Yumi est très attachée aux traditions. Comme le mariage religieux est une tradition, mariage religieux il y aura. D’une logique désarmante. C’était non négociable. Heureusement que de notre côté, on en voulait un aussi.
  • Ensuite, Yumi et ses parents sont de religion shintō ET croyants. Le mariage religieux coulait de source. Qu’il se fasse selon le rite shintō aussi. (Le pseudo chrétien était exclu d’office, on a notre dignité.)
    Pour ma part, n’étant catholique que parce qu’on m’a baptisé à un âge où je n’ai pas pu dire non faute de savoir parler… Ma vision religieuse du monde est assez proche du shintō (suffit de changer le nom des dieux), je m’y retrouve aussi.
  • Ensuite (bis), sur le plan familial et social, la démarche relevait de l’indispensable, voire de l’obligatoire.
    Socialement, la famille de Yumi fait partie des notables, donc qu’ils le veuillent ou non, tout événement les concernant doit obligatoirement être grand et classe.
    Pour le versant familial, mes beaux-parents ont toujours vu grand pour leur fille. L’archétype de l’enfant japonais dans lequel les parents investissent toute leur énergie, leur blé, leurs espoirs, etc. Donc mariage avec toutes les options et cérémonies possibles (civile, religieuse et familiale). J’ai même été étonné qu’on ne recrute pas 2000 figurants pour une haie d’honneur, plus un cortège d’éléphants et un avion avec une banderole de félicitations accrochée au cul.
    Sans compter que tous les membres de la famille se marient au temple et qu’une exception ferait tache.
    (Plus je me relis, plus je me dis qu’on a eu de la chance que notre choix concorde avec celui qu’on ne nous aurait pas laissé…)
  • Ensuite (ter), pour le côté strictement financier, on n’a pas eu à se poser de questions. Dans un sens tant mieux, le budget pharaonique pulvérise même les statistiques japonaises.
  • Ensuite (quatro), tant qu’à se marier, autant marquer le coup, ce que ne permet carrément pas le mariage civil.
  • Enfin, il y a le “facteur Yumi”. Outre ce que je disais sur le fait qu’elle s’est toujours attendue à un mariage religieux, moitié pour des raisons religieuses, moitié par contexte familial. Surtout, c’est une fille (oh, le scoop !). Et fille + mariage donne toujours un cocktail détonnant à base de robes et 250 accessoires vestimentaires, camions de fleurs, décors hollywoodiens, bref des trucs de filles.
    Comme le mariage civil n’est qu’une formalité administrative où on peut se pointer en short et chemise à fleurs, pour le faste, zéro. Et un mariage sans robe de mariée, hein, je vous demande un peu… Bon, ça n’a pas empêché la miss d’aller à la mairie avec un kimono de cérémonie acheté pour l’occasion. Mais pas une vraie robe de mariée, donc le drame (bon, en vrai, même si elle raffole de fringues, elle n’est pas aussi superficielle, je caricature, mais vous voyez l’idée).
    Pour porter légitimement ZE robe de mariée traditionnelle, il n’y a en théorie que le mariage religieux : kimono blanc, manteau rouge, plus un galurin parmi les deux modèles au choix (genre couronne ou coquille d’œuf). Loin de l’air simpliste sous lequel je le présente, il s’agit d’une tenue infernale qui nécessite diverses aides de camp rien que pour l’enfiler. La mariée disparaît sous les épaisseurs, plis, rabats, nœuds, broderies et motifs. L’ensemble fait passer une robe de mariée occidentale pour un article bon marché.
    Là-dessus, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Yumi, contaminée par nos idées de gaijin, portera ensuite une robe de mariée à l’occidentale pendant la première partie de la réception, où on reçoit la famille, les amis, les collègues, les relations diverses et variées, bref l’équivalent du vin d’honneur. Accessoirement, la robe de mariée occidentale est très à la mode au Japon ces dernières années pour l’occasion, donc elle ne choquera pas. Et c’est pas fini, puisque pour la deuxième partie (qui correspond au banquet en comité plus restreint avec la famille et les proches), il y aura encore changements (au pluriel !) de fringues. Outre boire des coups, serrer des mains, faire des courbettes, regarder des Powerpoint moisis sur les grands moments de notre vie, il y a pendant le banquet quelques rites traditionnels. Par exemple, quand les mariés font le tour de la salle en allumant des bougies sur les tables des invités, la mariée porte un kimono spécifique, encore un ! Moi à l’inverse, on m’a interdit de me déguiser en porteur de flamme olympique… Bref, pendant la réception, rien que pour ces rituels, il y aura deux autres kimonos différents. Et enfin, des fois que ça ne suffirait pas, mademoiselle (enfin, madame, maintenant) compte encore se changer pour la soirée et la conclusion post-bouffe (celle où traditionnellement en France on commence à faire péter la Chenille et la Danse des Canards). Donc robe du soir pour la soirée, ce qui a au moins le mérite d’être cohérent.
    Bilan : 1 kimono pour la mairie, 1 robe de mariée japonaise pour le temple, 1 robe de mariée occidentale pour le vin d’honneur, 2 kimonos et 1 robe du soir pour le banquet, de quoi ravir une nana (et encore, je vous épargne le couplet sur les x paires de chaussures, sacs, gants, bijoux, bouquets…). Le facteur Yumi, donc : le mariage religieux, c’est important pour la robe.