Touche pas au grisbi !

Parlons budget, blé, pognon, fric, flouze, thune, grisbi, oseille, sous, braise, numéraire, disponibilités, biffetons, monnaie, brouzouffes, fonds, devises, espèces, artiche, picaillons, mitraille, pèze, ronds, bas de laine, fraîche, pépettes, liqui­dités, magot et autres lettres de change… Bref, le nerf de la guerre, en un mot l’argent, de l’or, de l’or, DE L’OR !… Mais je m’égare, comme disait Théognis.

Un budget ?

Quand je disais parlons “budget”, la formule était on ne peut plus rhétorique. Ne comptez pas sur moi pour donner un budget mensuel en tant que touriste ou habitant, je ne suis pas sûr qu’il veuille dire grand-chose. Trop de facteurs à prendre en compte (revenus, train de vie…) dont certaines variables très… variables (tarifs forfaitaires/unitaires, conversion yen/euro).
En plus, je doute que Yumiko et moi soyons un cas d’école réellement représentatif. En effet, nous sommes résidents et, travaillant tous les deux, nous avons deux salaires, d’où cas particuliers par rapport aux touristes éphémères et/ou ménages à un seul revenu. Et comme on bosse, on a aussi moins de temps libre qu’un touriste pour claquer de la tune. Ensuite, nous disposons d’un logement de fonction sur le campus où nous exerçons, ce qui réduit les frais de transports professionnels et de loyer à zéro. Et sur le plan des transports personnels, nos gambettes et nos vélos font le gros du boulot selon la distance et la météo, d’où facture faiblarde dans ce domaine (là où le touriste raquera en métro, bus, taxi, location de voiture ou vélo). Par-dessus le marché, on n’a pas de bagnole à entretenir, facteur ô combien pesant sur pas mal de budgets. Bref, pas besoin de continuer sur d’autres domaines (alimentation, habillement, loisirs…), sachant que les chapitres logement et transport sont deux des trois plus gros poids sur les finances (le troisième étant la bouffe).  Ces points sont déjà assez particuliers pour que je ne puisse pas me servir de notre train de vie pour dire “vivre au Japon coûte tant par mois”. Les chiffres que j’avancerais ne reflèteraient en rien la réalité et ne vaudraient pas tripette.
J’ai eu l’occasion de le vérifier quand deux amies (coucou, Cass et Marjorie !) qui viennent passer l’été chez nous m’ont demandé un budget prêt à l’emploi. Autant donner des tarifs dans certains domaines bien précis allait tout seul, autant dans d’autres j’étais bien en peine de répondre, et surtout pas en me basant sur mon cas.
Sans compter que je ne suis pas une référence en matière tarifaire… J’ignore le prix d’un litre d’essence, par contre, je connais par cœur tous les tarifs des différentes prestations des geiko.

L’ami Google abonde en résultats sur “budget voyage Japon”, à vous de faire le tri. Le touriste en mal de chiffres pourra tout de même trouver des indications chiffrées sur le logement dans cet article où je détaille les modes d’hébergement. Le site de l’Office National du Tourisme japonais donne également quelques indications de budget sur cette page (et pour les radins/fauchés, c’est ). Des sites comme celui-ci permettent d’avoir une idée générale du coût de la vie moyen au Japon et dans certaines grandes villes, avec la posibilité d’afficher les prix dans la monnaie de votre choix. A manier avec précaution, car c’est un site contributif…

Idée (très) générale de ce que coûte la vie à Kyoto.

La seule info invariable est la cherté du Japon. Evidemment, comme partout, les tarifs sont très aléatoires selon les endroits (Tokyo, autres grande villes, cambrousse), les magasins, la qualité du produit, sa marque, la mode du moment (par exemple, si tel légume est en vogue parce que la télé l’a dit, tout le monde suit le mouvement sans se poser de questions et les prix évoluent en conséquence).
Si vous êtes du genre à manger 5 fruits par jour, vous vous ruinerez vite. Par contre, vous pourrez nourrir votre cancer du poumon sans problème, le prix des clopes étant loin des délires français (d’autant que le Japon est un pays libre où on peut fumer presque partout, hors bâtiments publics, transports en commun, etc.).
L’info la plus variable – que certains oublient malheureusement en prévoyant leur budget ou en glanant des chiffres à la va-vite – est le taux de conversion. Toujours vérifier la date des chiffres sur lequel on tombe, surtout s’ils sont donnés en euro. Au Japon, un yen est un yen, ailleurs, ce n’est pas la même chanson… Cf. la page ci-dessus de l’Office National du Tourisme qui fait état d’1 € pour 125 ¥ alors qu’à la minute où j’écris, 1 € ne vaut plus que 97 ¥. Autant dire que le même budget reviendra beaucoup plus cher selon la parité et que ce n’est pas trop le moment de venir.

Quand ¥ a pour un, ¥ a pour deux

Si l’homme est un loup pour l’homme, l’argent est un(e) hyène pour le Japonais. (Je cherche encore à comprendre le sens de ma phrase…)
Le Japon compte en yens, ¥, JPY, 円, c’est du pareil au même. Les subdivions par centième (銭, sen) et millième (厘, rin) ne sont plus utilisées depuis un demi-siècle. A sa création, on l’écrivait 圓, simplifié en 円… qui se prononce “en” soit dit en passant et veut dire “rond” (comme une pièce, logique).
La plus ancienne pièce japonaise connue remonte à l’année 708, information difficile à replacer dans une conversation, j’en conviens. Aujourd’hui, le yen est la 3e monnaie d’échange après le dollar et l’euro – c’est plus facile à recaser mais comme tout le monde le sait ou s’en fout…
Créé le 10 mai 1871 et mis en circulation en juillet de la même année, le yen s’inspire de la monnaie espagnole (le dollar de l’époque) et remplace l’ancien système Tokugawa, d’une complexité insensée comme tous les systèmes monétaires d’ancien régime. Les premières pièces sont en or (yen), argent (sen), cuivre et cupronickel (rin). Les billets sont mis en circulation en 1872.

Les pièces actuelles ont le côté pratique d’être très différentes les unes des autres, seul un demeuré se tromperait (je ne vise personne). L’avers comporte un symbole ; le revers est frappé de la valeur et de l’année d’émission. A noter que l’année portée sur les pièces n’apparaît pas en calendrier grégorien mais correspond au calendrier de règne de l’Empereur (2012 = Heisei 24). Une refonte des billets a eu lieu en 2004 pour les moderniser face à la contrefaçon.
Pour la petite histoire, deux points législatifs :

  • Si vous êtes du genre à aimer déconner en payant vos impôts avec des brouettes de pièces jaunes, la loi japonaise a prévu le cas de figure. Un commerçant peut légitimement refuser vos piécettes et exiger une autre forme de paiment si vous utilisez plus de 21 pièces de même valeur.
  • Il est formellement interdit de détruire de la monnaie sous peine d’une amende. En vertu de la loi sur le contrôle monétaire, vous pouvez écoper d’un an de prison ou 200000 ¥ d’amende si vous tentez par exemple de mettre une pièce de 1 ¥ au micro-ondes pour vérifier si elle fond vraiment (et c’est le cas) ou de dissoudre des pièces de 10 ¥ pour éloigner les moustiques.

Revue des pièces (硬貨, kōka) et billets (紙幣, shihei) :

  • Pièce de 1 ¥. Aluminium. Arbre sur l’avers.
    Coûte le double de sa valeur à produire. Ne pèse qu’un gramme. Flotte sur l’eau si on la dépose délicatement (oui, je n’ai que ça à faire). Fond au micro-ondes (ouaip, je n’ai vraiment que ça à faire).
  • Pièce de 5 ¥. Cuivre-zinc. Trouée. Eau et riz sur l’avers avec engrenage autour du trou représentent la pêche, l’agriculture et l’industrie). Germes sur le revers (représentent la croissance vers la démocratie).
    Seule pièce à ne pas comporter de chiffre arabe et souvent confondue avec une monnaie chinoise. Très utilisée dans les temples à cause de l’homophonie entre 五円 (5 yens) et ご縁 (que je traduirais ici par “bonne fortune” pour coller au double sens pièce/chance).
  • Pièce de 10 ¥. Cuivre-zinc. Temple Byōdō-in sur l’avers.
    A cause de leur haute teneur en cuivre (95%), les pièces de 10 auraient un effet insecticide sur les moustiques si on les dissout dans l’acide.
  • Pièce de 50 ¥. Cupronickel. Trouée. Chrysanthème sur l’avers.
    Le trou sert autant d’astuce pour économiser sur le matériau que pour la distinguer de la pièce de 100 à laquelle elle ressemble beaucoup.
  • Pièce de 100 ¥. Cupronickel. Fleur de cerisier sur l’avers.
  • Pièce de 500 ¥. Cuivre-zinc. Bambou et mandarinier sur l’avers.
    On peut lire les lettres N, I, P, P, O, N gravé dans le chiffre 500 mais faut avoir de sacrés bons yeux.
  • Billet de 1000 ¥. Portrait de Noguchi Hideyo au recto ; mont Fuji au verso.
  • Billet de 2000 ¥. Shureimon au recto ; portrait de Murasaki Shikibu et scène du Genji Monogatari au verso.
  • Billet de 5000 ¥. Portrait de Higuchi Ichiyō au recto ; iris au verso.
  • Billet de 10000 ¥. Portrait de Fukuzawa Yukichiau recto ; phénix au verso.

Acheter de l’argent

Un bon point, la conversion yen/euro dans les conditions actuelles est simple, puisqu’il suffit de diviser par 100 ou d’imaginer que les prix sont affichés en centimes d’euros. Si vous étiez du genre à parler en anciens francs, vous connaissez le système. Autant dire que parler chiffres avec mon grand-père est assez marrant : yen -> euro -> franc -> ancien franc. Encore heureux que la Révolution remonte à loin, sans quoi je me perdrais à devoir convertir en plus selon le système de l’Ancien Régime.

Il va de soi qu’on ne part pas au Japon les poches vides. On commence par changer des yens dans une banque digne de ce nom. Le montant ? Aucune idée, à vous de gérer vos comptes et d’ajuster en fonction de vos besoins et moyens.
A savoir tout de même, car l’info est primordiale : dans cette terre de haute technologie où on s’attend à ce que tout le monde paye grâce à une puce greffée sous la peau, beaucoup d’achats se règlent à l’ancienne, pas en troquant des poules quand même, mais en espèces. Nombreux sont les endroits où il est même impossible de payer autrement qu’en espèces. Ceci étant, pas la peine d’arriver non plus avec trois valises de biffetons, le taux de change local étant plus avantageux. Et ce même change local sera plus avantageux dans une banque plutôt que directement à l’aéroport. Evidemment, sorti de l’aéroport, parler japonais n’est pas seulement utile, en pratique c’est indispensable : au guichet, l’anglais est rar(issim)e, le français inexistant. Je ne le répèterai jamais assez.
Ces nombreux paiements en espèces impliquent de disposer d’un plafond conséquent de retrait auprès de sa banque ainsi que d’un minimum de frais sur les retraits à tire-larigot, afin d’éviter les mauvaises surprises sur place (plafond atteint…) ou au retour (frais faramineux à la lecture du relevé de compte). Détail tout bête aussi, vérifiez que votre carte permet de retirer ou payer à l’étranger. Oui, c’est con comme conseil, mais ça s’est vu… A voir avec votre sangsue vampire escroc banquier… Pour corser la chose, sachez que si beaucoup de magasins n’acceptent aucune carte même japonaise, ceux qui acceptent les cartes étrangères sont encore moins nombreux. Et la remarque vaut pour les distributeurs. Si en plus vous vous éloignez des grandes villes, c’est mort. Dans la même veine, payer par chèque étranger est impossible. Enfin, si les distributeurs de la banque postale ou de 7-Eleven proposent un menu en anglais, l’interface est en japonais le reste du temps.
Evidemment, on se promène avec des sommes conséquentes sur soi. Même si le risque zéro n’existe pas, le Japon est heureusement un pays où les chances de se faire dépouiller par un brigand sont moins élevées que n’importe où dans le monde. Pour ma part, je n’ai jamais eu en sortant de crainte particulière, quelle que soit la taille de la liasse dans ma poche (le fait que Yumi et moi pratiquions 5 arts martiaux à nous deux joue peut-être aussi…).
Dans la série “faites gaffe à”, les distributeurs ne sont pas en service 24h/24 : la nuit, c’est extinction des feux pour un paquet d’entre eux. Les horaires peuvent être très variables, la fourchette moyenne couvre la tranche 8h-21h ; ceux de la banque postale sont accessibles en continu. Les convenience stores (notamment 7-Eleven), la version locale de l’épicerie du coin, peuvent vous sauver la mise (ouverts 24h/24, 7j/7 et disposant d’un distributeur). Quant aux banques, elles sont ouvertes du lundi au vendredi, de 9 h à 15 h (16 h pour les banques postales), évidemment hors jours fériés qu’il vaut donc mieux connaître avant son départ (liste ici).
Point de détail évident, mais il se trouve toujours des gens pour l’ignorer : les banques ne changent que les billets, pas les pièces. A votre retour, si quelques piécettes sont toujours agréables à conserver en souvenir ou pour faire grimper votre cote d’aventurier auprès d’un neveu, mieux vaut éviter d’en ramener un seau quand même, il vous resterait sur les bras.

Ouvrir un compte

Si vous êtes là pour un moment et que vous envisagiez d’ouvrir un compte, c’est très simple, du moins sur le papier.
D’abord, toute la paperasse est en japonais. Inutile de vous plaindre, c’est normal, c’est la langue officielle. En France, c’est bien en français, non ?
Le choix de la banque, à voir selon divers critères. Pour certaines, l’ARC ne suffit pas (en gros, restreint aux Japonais uniquement). Ailleurs, vous devrez impérativement signer avec un sceau et pas un simple stylo (ce qui limite peu ou prou aux autochtones aussi). Oui, c’est à l’ancienne comme nos vieux sceaux sur la cire rouge des parchemins enluminés. Enregistrer une signature sigillaire donne droit à d’autres démarches auprès de l’administration compétente. Dans certains cas, on vous renverra à l’agence la plus proche de chez vous, donc autant commencer par elle, plutôt que vouloir ouvrir un compte “en passant” lors d’un déplacement loin de votre base. Enfin, mieux vaut choisir une enseigne nationale qu’une banque locale. En cas de déménagement, un simple transfert suffit au lieu de tout clôturer au point A pour tout recommencer au point B.
Comme en France, la poste est sans doute la banque la plus pratique : présente partout et ouverte à tous ou presque. PS : je ne fais pas de pub pour la Banque Postale du Japon, mon bas de laine est dans une autre banque.

A part ça, c’est simpliste : il suffit d’avoir des papiers d’identité, un titre de séjour (ARC) qui exclut donc les touristes, un justificatif de domicile, un numéro de téléphone et bien sûr du blé à déposer à l’ouverture. On en ressort avec un compte, un livret papier (qui s’insère dans les distributeurs pour archiver vos opérations et tenir les comptes à votre place, le rêve !) et un code qu’on choisit (pratique pour s’en rappeler). La carte elle-même arrive par voie postale un peu plus tard.
A noter (1) : ne comptez pas vivre de vos rentes, le taux d’intérêt sur l’épargne est très bas (un bon point, le taux d’intérêt sur les prêts l’est aussi). Selon les frais de gestion et d’opération, un compte peut même coûter plus d’argent qu’il n’en rapporte.
A noter (2) : cas particuliers pour les touristes, il semblerait que la Banque Postale du Japon permette d’ouvrir des comptes temporaires. A vérifier, je n’en sais pas plus.

Autant dire que la question du nerf de la guerre mettra ceux du touriste inconséquent à rude épreuve.