Comme l’a dit un éminent essayiste contemporain, “aujourd’hui, je vais vous parler de ces relations saines” des enfants et de la guerre.
Même si j’ai une préférence marquée pour Jean et sa tonitruante Apocalypse, j’aime bien Matthieu quand même pour nous avoir rapporté une citation qu’on placerait facilement dans la bouche d’un autre, d’Alexandre le Grand à Hitler en passant par Napoléon : “N’allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive.” (10, 34)
Dans un précédent article sur la Golden Week, j’avais laissé en plan le dernier jour de ladite semaine.
Le Kodomo no hi (子供の日) boucle la semaine sainte par un ultime jour férié le 5 mai. Littéralement, c’est le “jour des enfants” et il ne m’est pas particulièrement dédié bien que je sois resté un grand gamin. En pratique, les garçons sont à l’honneur. Les filles, rien à secouer, elles ont déjà eu l’occasion de jouer à la poupée pendant leur Hina matsuri. Ce qui explique le caractère très masculin de la fête actuelle malgré son nom à vocation universelle, c’est justement qu’il y avait deux fêtes distinctes jusqu’en 1948, une pour les filles le 3 mars et l’autre pour les garçons le 5 mai. Indépendamment des décisions gouvernementales, les Japonais continuent à pratiquer à l’ancienne, filles d’un côté, garçons de l’autre et tout le monde est content.
J’ai parlé également de Setsubun, fête marquant l’arrivée du printemps dans le calendrier piqué aux Chinois. Il est donc logique que trois mois plus tard il y ait une fête pour le début de l’été, ce que n’est pas le Kodomo no hi.
Dans les temps jadis, on fêtait tango no sekku (端午の節句) ou tango tout court. Le nom ne renvoie pas à une festival de danse argentine mais au mois du cheval ; le choix du jour viendrait quant à lui d’une homophonie avec le chiffre 5 (qui se dit go aussi).
Si vous avez lu attentivement ce que j’ai écrit jusqu’ici sur les fêtes japonaises, vous ne serez pas surpris d’entendre la même chanson. Air connu donc, la fête est d’origine chinoise, remonte à la période de Nara (VIIIe s) et comporte des rites purificatoires.
Cette fête aux 12000 noms est également connue comme festival des iris (菖蒲の節句, shōbu no sekku) – les fleurs, pas les yeux. La coutume était – est toujours – d’accrocher des iris et de l’armoise aux avant-toits des maisons pour éloigner les mauvais esprits. Ce qui me fait dire qu’avec tous les rites anti-esprits pratiqués fréquemment au Japon, c’est à se demander s’il en reste encore.
Il est assez marrant de constater que dans certaines régions du Japon, la fête originelle était d’essence féminine à travers le rite d’inversion du “gouvernement en jupon”.
Au cours de l’époque Kamakura (XII-XIVe), la fête change de sens. C’est l’époque où le samouraï devient LE personnage prééminent du Japon. Or les feuilles d’iris rappellent la forme d’une lame, outil qui est samouraï ce que le tournevis est à Mr Bricolage. De plus, en vertu de son système de lecture bien à lui, le Japonais peut lire 菖蒲 et 尚武 de la même façon, à savoir shōbu qui renvoie dans le premier cas à l’iris et dans le second aux “valeurs martiales” (c’est moins un mot qu’une notion difficilement traduisible).
Le tango prend donc une connotation éminemment masculine et deux pratiques voient le jour.
La première est identique à l’autel des poupées du Hina matsuri version p’tit mec, càd avec diverses figures martiales et objets liés à la guerre. Répartis sur une estrade de plusieurs étages, on trouve une armure, des tambours de guerre, un casque (兜, kabuto), des bannières et des poupées de figures héroïques comme Musashibō Benkei (武蔵坊弁慶) et Kintarō (金太郎).
C’est encore pratiqué de nos jours à des degrés divers allant du simple kabuto (représentant force et protection) à l’arsenal complet, en passant par un modèle réduit d’armure de samouraï.
A cette occasion, les jeunes garçons se voyaient offrir également des pièces d’armure (ça par contre, ça ne se fait plus à l’heure actuelle).
Yumi, traditionnaliste dans l’âme (Japonaise, quoi) a tenu à ce qu’on fête l’événement pour m’assurer force et prospérité. Je n’avais rien contre, c’est toujours bon à prendre, et je me suis rabattu sur les moyens du bord (mon daishō et mon armure de kendō toute neuve). J’achèterai un matériel plus orthodoxe pour l’an prochain…
La seconde, toujours d’actualité aussi, consiste à déployer des bannières qui ressemblent à des manches à air en forme de carpe (鯉幟 ou こいのぼり, koi nobori). Les carpes symbolisent en effet la force et la persévérance (comme les saumons, elles ont la manie de lutter pour remonter à contre-courant au lieu de se laisser tranquillement porter en faisant la planche).
On ne fait pas n’importe quoi avec les carpes. La perche est en bambou. On accroche au moins 3 carpes, respectivement pour le père (en noir), la mère (en rouge), le fils, plus une pour chaque fils (ou enfant, chez ceux qui incluent les filles) supplémentaires. La position et la taille de la carpe varie en fonction de la place du membre concerné dans la famille : le père est toujours placé en haut, ensuite la mère, enfin les fils par ordre d’âge. Les différentes couleurs renvoient aux cinq éléments (bois, feu, terre, métal et eau).
Parmi les autres pratiques associées au kodomo no hi, on compte :
- le shōbu-yu (菖蒲湯) ou bain d’iris. Simple à réaliser en 4 étapes : 1) balancer des feuilles d’iris dans une baignoire ; 2) balancer un enfant dans la baignoire (ça marche aussi en le posant délicatement) ; 3) laisser tremper ; 4) éviter de jeter le bébé avec l’eau du bain.
- le shōbuzake (菖蒲酒). Simpliste, 1 étape : boire. Je n’avais encore jamais goûté le saké aromatisé à l’iris, c’est chose faite. J’aime bien… peut-être un peu trop…
- les kashiwa mochi (柏餅). Gâteau de riz gluant (mochi) fourré avec une pâte de haricots rouges sucrée et enroulé dans une feuille de chêne (kashiwa). Faut aimer… je suis pas fan du haricot sucré.
- les chimaki (粽). Gâteau de riz gluant (encore…) de forme triangulaire et enrobé dans une feuille de bambou.