Elle m’arrête. ^^
La police japonaise, c’est tout un art. N’étant pas artiste, je ne la connais donc que superficiellement. CQFD.
J’ai tout de même eu l’occasion de lire 2-3 choses à son sujet, d’en voir certaines, d’en entendre d’autres de la bouche de Yumi (dont le cosplay de fliquette n’est pas le sujet dans ces lignes).
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Fait notoire et archiconnu, la criminalité est moindre au Japon que dans le reste du monde. J’en parlais tantôt ici, je ne vais donc pas me répéter. J’en parlais tantôt ici, je ne vais donc pas me répéter. (Désolé, mais ça m’amuse…)
Au Japon, la police est partout. Partout, parce que c’est une police de proximité. Partout, parce qu’en plus des commissariats classiques, les villes sont constellées de kōban (交番). Je vous fais grâce d’un jeu de mot pénitentaire sur “aller en cabane”. Encore qu’il ne serait pas déplacé, le kōban tenant davantage du cabanon que de la forteresse carcérale.
Le kōban est un poste de police miniature dépendant d’un commissariat ou d’un poste de ploice. Une poignée d’agents (1 à 12 plus ou moins) y sont affectés et surveillent le quartier, généralement à vélo. Ouaip, pas très cinégénique pour les poursuites endiablées. Leurs missions consistent à… faire la police, ce qui va de la circulation aux arrestations, en passant par le ramassage des salarymen ivres morts en soirée, les notifications aux propriétaires d’objets trouvés qu’on leur rapporte, le décompte des pertes dans les accidents de la route, l’enregistrement des plaintes, les interventions en cas d’urgence (incendies notamment). Mais leur principale mission de combattants du crime est de servir de GPS humain. Ce qui n’est pas rien dans un pays où les rues n’ont pas forcément un nom et où les bâtiments sont numérotés par ordre chronologique de construction.
Bref, une vraie police de cartographes cyclistes proximité. Du fait de ce contact étroit avec la population, de la mise en avant du “service public” par rapport au pur fliquage ou à l’interdiction/répression et de compétences qui placent la politesse et la patience au premier plan, la police est bien perçue.
PS : Pour les appeler, c’est le 110.
Si vous envisagez d’y faire carrière comme criminel en lisant cet aperçu du monde des Bisounours, sachez que la police japonaise ne s’y limite pas. Elle compte aussi ses adeptes du coup de botin, ses divisions affectées aux crimes de sang, des forces anti-émeutes et dispose de tous les moyens techniques d’une police moderne.
Si vous êtes un résident fraîchement débarqué ou un touriste, mais paumé dans un cas comme dans l’autre, n’hésitez pas à demander votre chemin aux agents, ils sont là pour ça. Il leur arrive même d’accompagner les usagers jusqu’à la destination voulue. M’étant moi-même égaré une paire de fois suite à mon emménagement, j’ai eu l’occasion de recourir aux “GPS en uniforme” et ça s’est toujours bien passé… même si rentrer chez soi entre deux flics laisse une impression bizarre, le genre de scène qui n’aurait pas forcément le même sens en France. Je n’ai rien contre la police française, nos rares contacts s’étant toujours très bien passés aussi, c’est davantage une question d’image, perçue très différemment dans l’Hexagone.
Les “criminels étrangers”
Un cas particulier tout de même : les étrangers. Et plus particulièrement les “délinquants étrangers”. Le statut de l’étranger a une lecture multiple au Japon, que je ne vais pas développer ici et la résumer (très) grossièrement au fait que “dans le fond, c’est toujours un peu un intrus et potentiellement un grain de sable dans l’harmonie nationale” (version taillée à la serpe, le détail est éminemment plus complexe).
L’Agence de Police Nationale publie annuellement ses rapports sur les chiffres de criminalité. On y montre les étrangers du doigt, les statistiques de crimes qui leur sont imputées étant toujours en décalage par rapport aux crimes “nationaux”. Bien que les chiffres soient justes, on leur fait dire ce qu’on veut, et les conclusions ne le sont pas forcément. Certes, il y a des vrais criminels méchants dans le lot (quand le phénomène yakuza avec pignon sur rue a reçu une publicité à l’échelle mondiale, certains se sont dit “pourquoi pas nous ?” et ont fait leurs valises direction l’archipel). S’ajoute l’argument des travailleurs immigrés et précaires (vus comme un terreau pour le crime) et des difficultés d’intégration de leurs enfants (de la graine de criminels). Ce qui n’est pas sans rappeler certains débats – et conclusions hâtives – sur l’immigration en France… Fait étrange, il est rarement mentionné que la moitié des crimes des étrangers sont liés à… leur statut d’étranger. Eh oui, ils commettent des crimes qu’eux seuls ont la possibilité de commettre : passeport pas en règle, visa expiré, travail illégal faute d’autorisation… Forcément, la donne se trouve faussée et sur la base de crimes communs aux Japonais et aux étrangers, les chiffres changent de signification.
Après évidemment, si on a l’air d’un gros touriste en sac-à-dos-appareil-photo-carte-de-la-ville-en-main, en général ça se passe sans anicroche. Mais il ne faut pas s’étonner d’être dans le collimateur – ce qui se passe sans anicroche aussi dès lors qu’on est en règle.
Mon accroche d’article, à l’image de la mascotte de la police tokyoïte, est pipeau.
Je ne me suis pas vraiment fait arrêter par la police, personne ne m’a passé les menottes (Yumi excepté) et on ne m’a ni tabassé ni exploré le fondement. Par contre, je me suis bien fait accoster par un représentant de l’ordre. Même s’il en a profité pour vérifier que mes papiers étaient en règle (passeport et récépissé de demande d’ARC), je pense qu’il a surtout voulu satisfaire sa curiosité… et éventuellement vérifier que je n’étais pas cinglé. De ce côté, pas de souci, la question se pose si souvent que je sais gérer. Possible que ça n’ait été qu’un “délit de sale gueule” et le contrôle d’identité associé, ceci dit, la scène s’est déroulée sans une once d’agressivité, dans une ambiance de courtoisie et de politesse presque excessive (japonaise quoi).
A vouloir se fondre dans le décor, on se fait remarquer. En soi, l’anecdote n’est pas très originale, pas mal de gaijin en font l’expérience lorsqu’ils testent… le costume japonais. Se vêtir à la mode traditionnelle dans un pays qui s’habille surtout à l’occidentale au quotidien, qui plus est avec un visage de fromage blanc, c’est le degré zéro de la discrétion (dixit le maître ninja Roland Barthes).
Or donc, après avoir emmenagé, on a fait quelques emplettes vestimentaires. Yumi, c’est l’habitude, elle claque des sommes faramineuses en fringues et en pompes. Je voulais enrichir ma garde-robe locale des plus pauvrettes et je me suis donc retrouvé à la tête d’une armoire fournie (yukata, hakama, haori, tabi, etc.) qui a bien failli me ruiner. En effet, dès qu’on sort du made in China et du prêt-à-porter pour touriste (genre les kimonos bien kitsch avec “ninja” écrit dans le dos), la facture peut vite grimper.
L’intérêt d’acheter des fringues est évidemment de les porter. Je me suis habitué aux yeux ronds comme des billes (ou des galets, parce qu’arrondir des yeux bridés…) de mes voisins de quartier. Entre mes tatouages de partout ou le fait que je leur réponde dans un japonais nickel plutôt qu’un anglais de bazar, je ne manquais pas de motifs pour me faire remarquer. Un de plus, un de moins… Depuis, ils se sont habitués à force de me voir traîner dans le coin (aidés par une stratégie de communication faussement innocente consistant à discuter un peu avec tout le monde l’air de rien).
Tant que je sortais en compagnie de Yumi, ça allait, je passais juste pour un hurluberlu de gaijin ; on croisait des flics sans qu’ils tiltent plus que ça. Evidemment, un beau jour (ou peut-être une nuit), il a fallu que je sorte tout seul pour combler une pénurie de clopes et paf, ça n’a pas raté. Je suis sorti comme j’étais, en hakama et haori (existe en version décontractée comme ci-dessous et en version plus formelle comme sur les photos de mes fiançailles pour ceux qui les ont vues – ne cherchez pas sur le blog, elles n’y sont pas).
Ce qu’il y a de marrant dans ce genre de scène, c’est que chacun a sa petite idée inexprimée sur son interlocuteur, d’où quiproquo surréaliste et situation ubuesque.
Tout démarre quand un policier s’approche et me fait signe de m’arrêter tout en me désignant l’insigne sur sa veste. Sans doute au cas où je n’aurais pas remarqué le reste de l’uniforme. Déjà, je me dis que c’est pas gagné s’il me prend pour un débile profond et s’il envisage qu’on mène “l’entretien” en langage des signes.
Là-dessus, salutations d’usage en anglais. Poli, courtois, ambiance sympa finalement pour un contrôle d’identité. Bonjour, monsieur. Vous allez bien ? (La question surprend un peu sur le moment, ne voyant pas trop ce qu’il pouvait en avoir à faire, mais voilà, la police japonaise est polie.) Puis-je voir vos papiers, s’il vous plaît ? Blablabla.
Lui en anglais, moi en japonais. Au bout de quelques questions, il a dû comprendre qu’il ne tirerait pas un mot shakespearien de ma bouche, il est repassé au japonais. Ouf ! j’avais presque peur qu’il me demande de parler anglais. Dans le lot, j’ai eu droit à quelques questions débiles comme “vous êtes étranger ?”. Euh, je n’ai pas d’insigne, mais ma tronche parle pour moi, ce qui en japonais se traduit par “oui, tout à fait, monsieur l’agent”. Plus des questions d’usage plus pertinentes… quoique, tout étant noté sur mes papiers, je sentais comme un effet perroquet dans mes propos. Date d’arrivée, durée et motif du séjour, où je vivais, avec qui, pourquoi, comment, d’où je venais…
“Ah, la France ! Paris !” Si j’avais touché 1 euro chaque fois qu’on me l’a sortie, celle-ci… Il était lui-même allé “en France”, c’est-à-dire Paris, il a donc un peu moins détaillé ma tenue et m’a un peu moins regardé comme si je débarquais d’une autre planète. L’espace d’une seconde, je me suis dit : ok, maintenant il comprend pourquoi je suis habillé comme ça, sous-entendu les Français sont bizarres, c’est normal que ce type soit bizarre puisqu’il est Français. Ou pas… vu que je n’étais pas dans sa tête.
Remarquez que s’il s’était promené à Paris en marcel, béret et baguette sous le bras, je ne doute pas que la police française lui eût demandé s’il allait bien (dans sa tête).
Après, je ne sais pas si c’est mon japonais en général ou la maîtrise des 144000 formules de politesse dont je saupoudrais toutes mes phrases (à croire qu’on faisait un concours lui et moi) ou la simple constation que je ne représentais pas un danger pour la sécurité du pays, toujours est-il qu’il m’a obligeamment indiqué où acheter mes clopes. Ce que je savais déjà, mais que je me suis bien gardé de dire pour ne pas lui casser la baraque.
(Merci à Céline grâce à qui cet article a vu le jour. 😉 )