La boîte à caca

Titre ô combien poétique pour parler de la télé japonaise.

 3615 Ma vie (oui, je suis un ancêtre, j’ai connu le Minitel).
Je n’ai jamais été un gros consommateur de télé, à l’exception des séries. A dire vrai mon poste télé ne me sert que de support de diffusion DVD et ça doit bien faire 12 ans que je n’ai pas vu la moindre image en direct. Soit parce que la télé française ne passe aucune série japonaise, soit parce que je n’ai pas la patience d’attendre que les séries américaines débarquent dans l’Hexagone. Sans parler des méthodes de diffusion à la “ouanegaine”, qui relèvent d’un odieux foutage de gueule envers le téléspectateur : épisodes diffusés dans le désordre, parfois charcutés pour des motifs de censure – quand certains ne passent pas carrément à la trappe –, doublages de qualité variable, dialogues non respectés à la traduction, j’en passe et des pires.
Le reste, ma foi, entre les films vus 200 fois, les fictions franchouillardes soporifiques, les émissions de variétés pouet pouet et les télé-réalités décérébrées, j’en conclus avec la nuance qui me caractérise que la télé, c’est de la merde.

Au Japon… pas mieux en fait.
La télé nippone est connue du grand public pour deux aspects : ses séries d’animation anciennes (Goldo !) ou récentes ainsi que ses émissions débiles qui font la joie des bêtisiers et des reportages pittoresques. On peut y ajouter chez une frange d’amateurs les séries (hors animes donc “live” avec des vraies gens).
Les puristes m’en voudront de ne pas appeler lesdites séries de leur doux nom de drama. Une série est une série. Sans quoi, on ne devrait plus parler de série américaine mais de TV show et Derrick ne serait plus une série policière allemande mais une Krimiserie, et cetera ad nauseam. Autant dire que ça va vite gaver tout le monde.

La télé japonaise vue par Supernatural

Chaînes

Le Japon compte un certain nombre de chaînes de télévision (encore un propos qui vole très haut…).
Le réseau public est le domaine de la NHK (日本放送協会, Nihon Hōsō Kyōkai, Compagnie de diffusion du Japon), active sur les ondes radio à partir de 1925 et dans la boîte magique à images à partir de 1953. Le groupe NHK est à la tête de plusieurs stations de radio et chaînes télé, aussi bien nationales qu’internationales (NHK générale, NHK éducative, NHK World…). Sa mascotte, immonde, est Dōmo-kun (どーもくん).

Une mascotte qui ne fait pas du tout peur et ne ressemble pas du tout à un étron carnivore.

Le secteur privé est réparti entre plusieurs groupes. On peut citer les “big five” liés aux principaux groupes de presse : TV Asahi (テレビ朝日, Terebi Asahi), NTV (日本テレビ, Nippon Terebi), TV Tokyo (テレビ東京, Terebi Tokyo), Fuji TV (フジテレビ, Fuji Terebi), TBS (Tokyo Bradcasting System).
A ce stade, tout le monde aura compris que テレビ (terebi) est l’abréviation pour TV/télé.

Principes

Je ne sais pas trop ce qu’il en est de la législation française (à part connaître l’existence du CSA, Censure supérieure de l’audiovisuel Conseil supérieur de l’audiovisuel) ou du reste du monde. Je me garderai donc de toute comparaison.
Au Japon, les chaînes sont soumises à plusieurs principes : ne pas troubler l’ordre public et les bonnes mœurs, être politiquement neutre, diffuser des informations qui n’ont pas été déformées, clarifier les sujets à controverse en abordant la question selon différents points de vue, respecter un équilibre des programmes entre divertissement, information et culture.
Il va de soi que c’est très beau sur le papier et donc très très théorique… En pratique, les émissions de divertissements – l’opium du peuple moderne – ont pris le dessus sur le reste, comme partout ailleurs. Quant à l’objectivité, on sait ce qu’elle vaut en termes audiovisuels, du sensationnalisme journalistique à la (trop) grande proximité du secteur public avec les hautes sphères du pouvoir. Quant aux bonnes mœurs, vu les sommes en jeu, elles n’ont pas droit de cité à l’écran (vu le niveau de certaines émission) comme en-dehors (scandales financiers de la NHK).

Redevance

Le financement de la NHK est assuré en grande partie par la redevance (受信料, Jushinryō), payée par foyer, indépendamment du nombre de postes, et directement à la chaîne sans passer par la case Etat. En 2010, 96,5 % des revenus de la NHK étaient issus de la redevance. Selon les points de vue, on peut donc la voir comme totalement indépendante du secteur privé… ou totalement dépendante du financement public.
Son montant est à géométrie variable selon le contrat (terrestre ou satellite) et l’échelonnage des paiements (tous les 2, 6 ou 12 mois). Un paiement annuel se monte à environ 15000 ¥ en terrestre et 26000 ¥ par satellite. Comme la très populaire vignette auto en France, s’acquitter de la redevance donne droit à un autocollant pour certifier le paiement.
Contrairement à l’idée reçue selon laquelle tous les Japonais se conforment toujours à tous les règlements, les resquilleurs existent : de 4 à 30% selon les années et les circonstances. Une différence notable avec la France où resquiller est un véritable sport national : au Japon, les chiffres hauts s’expliquent souvent en tant que sanction du public.
En effet, au Japon, tout ce qui relève de l’Etat est parfait (en théorie), l’administration ne se trompe jamais (dixit l’administration elle-même, et si jamais vous êtes victime d’une erreur, vous allez en chier pour lui faire comprendre qu’elle a tort). D’où le fait que le public attende la perfection de la “chaîne du peuple”. D’où scandale dès qu’un rouage se grippe et qu’il n’y a pas moyen de le passer sous silence (grande spécialité locale aussi). Pour en arriver au fait que plusieurs scandales en 2005-2006 (corruption, détournements de fonds) ont conduit nombre de Japonais à cesser de payer la redevance.

Le contenu

Après les détails rébarbatifs, place au fun !

Heureuse comme un poisson dans l'eau.
Un remède contre la grosse tête ?
Un melon et des fesses, la version nippone du panem et circenses.

Que voit-on en allumant sa télé : info, jeux télé, talk-shows, séries, dessins animés, sport, films, sexe (la nuit). Bref, comme partout. Et comme partout, les émissions vraiment intéressantes se comptent sur les doigts d’une main de lépreux.
De mon point de vue qui n’engage que moi-je, la télé japonaise est marrante dans un premier temps par le côté délirant et complètement surréaliste de certaines émissions. Ceci dit, passé le temps de la découverte et des joyeuses marrades teintées d’étonnement, on s’en lasse vite. Ce serait comme regarder Jack Ass quasiment H24 et comme je n’ai jamais pu le supporter plus de 5 mn…
Passé cette phase, je m’en suis vite tenu à :

  • Les infos, histoire d’être vaguement au courant de ce qui se passe. Et la météo qui ne sert pas qu’à savoir si je vais sortir un pull ou pas pour demain. Au pays des typhons, tsunamis et tremblements de terre, vaut mieux être au courant d’éventuelles alertes. Ceci dit, je ne le fais pas systématiquement par le biais de la télé, car Internet est mon ami.
  • Quelques séries et, parce que ce n’est pas à mon âge que je vais changer, les dessins animés.
  • Une dose homéopathique de conneries en guise de plaisir coupable. Ben oui, ce serait dommage de s’en priver complètement quand même.

Vue d’ensemble de la télé nippone :

  • Faut s’accrocher, c’est du non-stop à en choper le tournis. Un boulimique de télé peut consommer (et vomir) tout et n’importe quoi à toute heure du jour et de la nuit.
  • La majorité des programmes sont japonais. Oui, dit comme ça… Programmes japonais faits au Japon par des Japonais pour des Japonais. Donc pas évident à exporter tel quel sauf auprès des amateurs de pittoresques pitreries (d’où l’image délirante de la télé japonaise hors du Japon). Les séries sud-coréennes ont également un certain succès depuis quelques années. La vague culturelle coréenne (Hallyu) n’est pas du goût de tout le monde. Il y a eu l’an dernier des manifestations nationalistes contre la diffusion de ces séries. Imaginez une manif devant le siège de TF1 au son de “Vive la France !”, “Non aux Experts !”, “On veut Louis la Brocante !” Au-delà de l’aspect nationaliste, le spectateur japonais est très (trop ?) habitué aux programmes nippo-nippons.
  • Si vous avez déjà jeté un œil sur des sites web japonais, vous aurez constaté l’abondance de pub. A l’écran, pareil, la pub est omniprésente : 15-20 mn par heure !
  • Dans la même veine, l’habillage graphique des sites web nippons est souvent “particulier” pour ne pas dire d’un goût douteux. Télé, pareil. On se croirait devant un vieil épisode de la série Batman et ses pif paf pouf qui pètaient à l’écran. Des kanji bondissent dans tous les sens pour souligner ceci cela : le résultat pique les yeux. On pourrait utiliser la télé pour un crime parfait si on veut se débarrasser d’un épileptique.
  • Il faut croire que même les Japonais en ont marre. Enfin, c’est relatif… Ils sont passés de 5 h par jour devant la télé dans les années 70 à “seulement” 3h30. Si la pauvreté des programmes est subjective (chacun ses goûts), un des arguments pour expliquer cette baisse est le caractère répétitif des programmes qui peinent à se renouveler. Le fait est que si le Japon sait se montrer innovant dans les domaines technologiques, dans d’autres secteurs, la philosophie est très conservatrice : “on ne va pas le tenter, car personne ne l’a encore fait”. (En même temps, ce n’est pas plus con que l’extrême occidental inverse qui est de tout tenter, surtout si ça n’a jamais été fait, même si c’est nase, juste parce que c’est nouveau.) L’autre argument est le caractère interchangeable de nombre d’émissions qui fonctionnent plus ou moins sur le même principe : tel ou tel présentateur vedette avec telle ou telle idol du moment à promouvoir, le tout assorti de jeux et épreuves plus ou moins débiles. Les idols ou tarento, justement, sont l’objet d’un tel turn-over en tant que produits de consommation jetables que les émissions sont paradoxalement sclérosées dans une structure figée et fugaces à travers leurs invités éphémères.
  • “Il y a deux types de programmes immanquables à la télé japonaise. D’abord, les émissions culinaires, qui n’ont vraiment rien à voir avec nos Maïté ou Joël Robuchon locaux. Ici, on envoie des animateurs ou des talento dans des provinces locales découvrir les spécialités du coin. Parfois, l’émission est aussi tout bêtement enregistrée en studio, avec un restaurateur comme invité. Mais dans les deux cas, on ne donne pas la recette, on vend le plat ou le produit en le goûtant en live, à grands renforts d’oishiii (“délicieux”) orgasmiques.
    L’autre émission culte est le talk-show fourre-tout de deuxième partie de soirée, voire de nuit. Ce sont les heures où la cruauté japonaise éclate aux yeux de tous, où l’on maltraite, ridiculise et où l’on fait subir des sévices plus ou moins bon-enfants aux invités. C’est également le moment où des nanas à gros seins se baladent en décolleté plongeant ou en bikini, en jouant les naïves même pas effarouchées et en faisant rebondir leur énorme poitrine sous les yeux de pervers plus ou moins jeunes. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’à partir d’une certaine heure, les stars ne sont plus les invités mais les animateurs. Et que le jeu le plus pervers qu’ils aient trouvé, c’est de faire leur promo en les maltraitant avec un rire narquois. Comme un rite de passage…” (Un bon résumé de kanpai qui me dispense de paraphraser ou de repomper ou de me casser le poignet à l’écrire moi-même.)
  • Cette terre de vieux sages zen aux maximes profondes, où le moindre comportement est codifié comme un lancement de navette spatiale, est aussi la patrie des grands malades, décomplexés vis-à-vis du caractère infantile d’une partie de la télé à base d’humour caca boudin. La débilité profonde de certaines émissions est aussi repousante qu’hynoptique. Il m’est arrivé de rester planté 2 heures devant une espèce de télé-achat qui ressemblerait au croisement improbable de Pierre Bellemare et Benny Hill. Le fait est qu’à petites doses, la tv japonaise est tout simplement fascinante. Côté émissions débiles, la France est largement pulvérisée et TF1 passerait ici pour une chaîne d’intellos. Le pipi-caca-prout, c’est du sérieux (sic) et on ne le laisserait jamais entre les mains d’un amateur comme Patrick Sébastien : c’est fait avec avec du vrai caca et du vrai pipi. Paradoxalement, le moindre poil de foufoune est censurée… ce qui permet aux émissions de mettre des nanas à poil partout et sans raison valable. C’est génial !… (Et je passe sur les joies analogues de l’Internet nippon abondant en sites scato-uro-vomi et autres “et si je mettais un poulpe dans le fion ?”, archi-connus mais toujours aussi vivifiants.)