Les petits Français n’ont pas de bol. Prenez un calendrier : vous trouverez une fête des mères (que l’on doit, je le rappelle, aux bons soins du gouvernement de Vichy), une fête des pères, une pseudo fête des grands-mères, promue par la marque de café éponyme donc purement commerciale, et même une vague fête des grands-pères, à peine officielle et dont personne n’est fichu de connaître la date.
Pour les enfants, que dalle, zéro, nada.
Vous me direz, il y a la Saint-Nicolas. Pour ce qu’elle est fêtée en France… Quant à Noël, avant d’être la foire aux cadeaux et l’occasion de repas pantagruéliques tout à fait dans l’esprit christique de dénuement, la date marque d’abord l’acte de naissance du petit Jésus. C’est la fête d’UN enfant, les autres peuvent se brosser.
Au Japon, on compte traditionnellement 3 fêtes dédiées aux enfants, rien de moins. J’ai déjà eu l’occasion de parler du Hina Matsuri et du Kodomo no hi, je n’y reviens pas. Reste Shichi-go-san (七五三), ou 7-5-3, qui n’a rien d’un festival des nombres premiers. Les chiffres correspondent aux âges des marmots à l’honneur, en l’occurrence tous les gosses de 3 ans, les garçons de 5 ans, les filles de 7 ans. La fête tombe le 15 novembre mais n’est pas fériée, aussi est-elle célébrée par beaucoup le week-end le plus proche pour d’évidentes raisons de planning.
En pratique, on pourrait ajouter le Seijin no Hi (成人の日), jour de la majorité, qui marque le passage officiel à l’âge adulte. Sans parler de nombreuses cérémonies tombées en désuétude et qui marquaient autant d’étapes de l’enfance vers le “monde des grands” (abandon du prénom de gamin pour un nom d’adulte, remise des armes et de l’armure…). S’il y a tant de fêtes ou de rites associés à l’enfance, ce n’est pas parce qu’il s’agirait d’une période de la vie bénie entre toutes, où tout il est beau et rose, innocent et joyeux. C’est même tout le contraire. Concernant l’origine de ces traditions, on parle d’époques où la mortalité infantile atteint des chiffres prodigieux : le simple fait qu’un gamin survive pour atteindre tel ou tel âge est déjà une fête en soi… qui implique qu’un certain nombre de frères et sœurs soient restés sur le carreau. Comme les occasions de casser sa pipe sont légion, les fêtes pour glorifier les survivants le sont tout autant.
Au risque de me répéter, la tradition est immémoriale et remonte à la période Heian. D’abord concentrée dans la région du Kanto, elle se répand par la suite dans l’ensemble du Japon. Idem en ce qui concerne sa dimension sociale, la chouille pour nobles s’étend progressivement à toutes les couches de la société. Rien de nouveau sous le soleil levant, donc, pour mes lecteurs réguliers.
En pratique, la tradition a pas mal évolué.
- Les samouraïs, qui possèdent à peu près tout le stock d’armes ainsi que leur mode d’emploi, donc l’autorité, donc la possibilité d’imposer tout ce qui leur chante, fixent les âges charnières à 3, 5 et 7. A partir de 3 ans, les gamins, jusque-là coiffés comme Kojak, peuvent se laisser pousser les tifs. A 5 ans, les garçons commencent à se vêtir du hakama ; les filles, elles, portent un obi à 7 (7 ans, pas 7 filles pour trimballer une ceinture).
- La date, d’abord fluctuante au gré des jours fastes de novembre, se serait fixée au 15 dès l’époque Kamakura. L’ère Meiji rendra cette date tout ce qu’il y a de plus officiel en l’incorporant dans le calendrier festif. Cela dit, elle est indicative, parce qu’entre le boulot pour les parents et l’école pour les nimbus, si le 15 tombe en semaine, c’est plutôt le samedi ou dimanche avoisinant qui est retenu. A Hokkaidō, on se pèle tellement en novembre, que la date est avancée d’un mois au 15 octobre.
- Lorsque la fête s’est répandue de la noblesse au petit peuple, l’habitude a été prise au cours de la période Edo de passer dans un sanctuaire avec sa marmaille. Le chitose ame (voir plus bas) remonte à la même époque.
- La tenue des gamins s’est standardisée sur hakama + haori pour les garçons, kimono + hifu + obi pour les filles. Depuis peu, on en croise grimés à l’occidentale, mais ils sont minoritaires (c’est contraire à la tradition, c’est mal et en plus c’est pas évident de trouver un costard en taille gnome). Ces fringues de cérémonie coûtent la peau des fesses et contribuent à faire des moutards un véritable gouffre financier pour leurs parents.
Pourquoi le choix des chiffres 3, 5 et 7 ? Totalement arbitraire. Si l’Occident aime les comptes ronds ou à défaut les nombres pairs, parce qu’ils sont divisibles proprement, le Japon, lui, préfère les nombres impairs parce qu’ils sont censés porter bonheur – argument ô combien rationnel – justement pour la raison inverse. Le caractère premier de chacun des éléments de la série 3-5-7 la rend donc parfaite, raison pour laquelle on la retrouve fréquemment (par exemple dans la composition des jardins japonais). L’attrait pour les nombres impairs se retrouve aussi dans les cadeaux de mariage, puisque le shūgi bukuro (祝儀袋), l’enveloppe de tunes que chaque invité donne aux mariés doit contenir une somme qui ne soit surtout pas multiple de 4 (qui se prononce shi comme 死, la mort), ni même de 2. Une somme paire serait divisible, donc de mauvais augure pour un mariage qui par définition symbolise une union théoriquement éternelle.
(Petite parenthèse… Sachant qu’en plus la somme du shūgi bukuro ne doit pas non plus être un multiple de 9, chiffre associé à la souffrance, et qu’elle est fonction de divers facteurs comme le degré de relation de l’invité aux mariés, le statut social ou encore le fait de venir à la réception seul ou en couple – lui-même soumis à variation selon qu’il s’agisse de concubins ou d’époux –, on n’a pas vraiment le choix du montant.)
A part ça, qu’est-ce qu’on fait de beau ?
Les parents et leur progéniture se mettent sur leur trente et un (ou leur sept cent cinquante-trois). Pour les filles, c’est du boulot, puisque toute cérémonie impliquant une créature de sexe féminin nécessite une coiffure alambiquée. Suffit de voir la ruée de ces dames chez le coiffeur à l’annonce d’une quelconque manifestation sociale pour s’en convaincre. Rappelez-vous la dernière fois que vous avez reçu un faire-part dans votre boîte aux lettres, votre chère et tendre a aussitôt clamé : “faut que je prenne rendez-vous chez le coiffeur” (précédé ou suivi de “qu’est-ce que je vais mettre ?” pendant que vous pensiez “je vais encore me faire chier” et/ou “pourvu que le bar-buffet soit copieusement garni”). Ce trait n’est donc pas propre au Japon, mais ici il est poussé très loin. En témoignent ces coiffures improbables qui requièrent les services d’un coiffeur-visagiste-ingénieur-architecte-styliste. Pour le cas qui nous occupe, un chignon garni de peignes ou de fleurs qui tiennent par l’opération du Saint Esprit ou du kami de l’antigravité. Pour les petits mecs, Playmobil est probablement le sponsor officiel.
Une fois tout le monde paré de ses plus beaux atours, direction un sanctuaire (dont je ne précise pas qu’il est shintō, parce que cela constituerait un pléonasme au même titre qu’un “temple bouddhiste”). Là, on prie pour les gamins, leur santé, leur prospérité, leur longévité. On prie aussi pour éloigner d’eux les mauvais esprits. Bref, on fait comme à chaque fête japonaise.
Le Japonais étant réputé pour ses talents de mitrailleur aussi bien aux commandes d’un Zéro qu’avec un appareil photo, il va de soi que tout le périple est soigneusement (copieusement, plutôt) photographié sous toutes les coutures. Un des 12000 clichés pris au cours de la journée ornera la maison, au milieu des autres moments clés de l’évolution de leur bambin (majorité, remise de diplôme, mariage…).
Une fois sorti du temple, distribution de bonbecs. La tradition “culinaire” associée au Shichi-go-san est celle du chitose ame (千歳飴), littéralement un Reich “bonbon de 1000 ans”, nombre qui n’indique pas le temps qu’il a passé à bonifier dans la cave à côté du pinard mais fait figure de vœu de longévité. Le bonbon se présente comme une espèce de baguette rose ou blanche entourée de papier de riz. Il n’est guère épais, comme disait Tolstoï, mais d’une longueur insensée à faire pâlir Rocco. L’emballage, orné des couleurs les plus criardes qu’on puisse imaginer, comporte des illustrations de grues et de tortues, animaux symbolisant la longévité. Des fois que les prières et le nom explicite du bonbon n’ait pas suffi à faire passer le message…
Le grand gamin que je suis a pu en goûter un et… Non, je vous arrête tout de suite, je ne l’ai pas fauché à un gnome, même si l’idée m’a traversé l’esprit. En fait, Yumi m’en acheté, parce que j’y avais légitimement droit. Ses mots exacts ont été : “je ne devrais pas, parce que tu es un sale gosse, mais puisque c’est la fête des enfants…” Légitime donc, selon mon interprétation. C’est pas dégueu comme truc.