Pour ceux qui prendraient le blog en cours, je me marie dans quelques mois (tout est là, suivez le lapin blanc).
Bien qu’il s’agisse dans les deux cas de se passer la corde au cou, la pendaison et le mariage obéissent à des logiques diamétralement opposées. La première est simple mais difficile, le second est facile mais complexe.
Avant d’être “le plus beau jour de sa vie”, le mariage, c’est d’abord et surtout de l’organisation… qui commence par organiser l’organisation. On fait des listes. Beaucoup. Liste de gens à prévenir, à inviter (qui ne sont pas forcément les mêmes)… ou à “oublier” pour ne pas les avoir dans les pattes. Liste de formalités civiles – surtout – et religieuses à remplir, liste de paperasse pour la mairie (donc liste connexe de papelards à demander à mon ambassade), liste des achats et des fournisseurs, des hôtels, auberges, chambres et bonnes âmes pour loger les invités. Et cetera et cetera. Et bien sûr, chapeautant toutes les autres, LA liste des choses à faire comme la réservation de salle, l’envoi des faire-parts, et cetera et cetera (bis), et dont la première consiste à établir d’autres listes.
Dans le lot, à tout seigneur tout honneur, j’ai droit à ma liste rien qu’à moi. Outre la classique todo list, ma chère et tendre me concocte une don’t do list qui s’allonge de jour en jour, tel le nez de Pinocchio ou l’organe de Rocco Siffredi. En effet, connaissant ma propension sans limite à faire le con, la démarche s’impose. Je le démontre chaque jour dans ma participation à la non-organisation de nos noces, provoquant soupirs et yeux au ciel. Ce n’est pourtant pas faute de proposer des idées censées cadrer avec la volonté générale d’une “journée inoubliable”.
- Un costume de Dark Vador… sauf que pour embrasser la mariée avec le casque…
- Nous rendre au temple à dos d’éléphant accompagné d’une garde de samouraïs à cheval au motif qu’une calèche, c’est kitsch et qu’une voiture, c’est d’un commun…
- On a également refusé à mes côtés la présence d’un bouffon en costume à losanges et clochettes… et ce alors que je serai suivi toute la journée par une espèce de garçon d’honneur, factotum, aide de camp, valet de pied, laquais, dont la tâche glorieuse consistera à veiller à ma tenue. Je sais pas, des fois que je perde mon froc en route, avoir une ombre derrière moi pour me le faire remarquer semble indispensable. Enfin bref, mon majordome fera en sorte que ma dégaine soit impeccable, sans tache ni faux plis, ce qui relève du gag avec un hakama qui est par définition plissé. Je trouve quand même dommage, quitte à avoir un garde du corps collé à mes basques, de ne pas en profiter pour le grimer en bouffon, c’est pas comme si on rajoutait un gars exprès.
- Quant aux animations pendant l’interminable réception dont il faut meubler les temps morts, je peux faire une croix sur les cracheurs de feu et montreurs d’ours, le feu d’artifice au lance-roquettes, le lâcher de colombes puis de faucons. Même un bête lâcher de ballons a été refusé alors que pour une fois on m’avait répondu que c’était pas con comme idée. Sauf que j’ai eu une phrase malheureuse concernant la voix “trop marrante” quand on inspire de l’hélium… Mais bon, j’arriverai bien à soudoyer un gamin trop heureux d’échapper à l’ennui pour faire une connerie à ma place, genre soirée mousse avec les extincteurs.
D’une ânerie l’autre, Yumi a donc décidé de brider (ça nous fera un point commun de plus, ah, ah !) mon inépuisable générateur de conneries. Ironiquement, elle s’est inspirée de ma propre liste de vétos sur “tout ce qu’il n’y aura pas à mon mariage” (le petit bonhomme en mousse, la queue-leu-leu, la danse des canards, une boule à facettes…). D’où la don’t do list dont voici quelques extraits…
- Ayant assisté à mes divers débordements en soirée, toute consommation excessive d’alcool est proscrite, de même que l’exhibition de mon postérieur.
Dans le même esprit, je dois garder pour moi mon répertoire de blagues moisies et mes jeux de mots pourris. L’attirail du “cousin déconneur” n’entre pas dans les objets que je suis censé porter. Exit donc pétards, boules puantes et coussin péteur…
La consigne vaut pour toutes mes remarques vaseuses habituelles. Notamment éviter de clamer “c’est du chiqué” quand Yumi jettera son bouquet de mariée (ブーケ・トス, būke tosu). J’ignore ce qu’il en est en France, toujours est-il qu’au Japon, le bouquet ne se lance pas au hasard. A charge pour la mariée de viser juste – surtout qu’elle tourne le dos à la foule – et d’atteindre la personne prévue, en général une amie proche et célibataire. Un tir loupé et la mauvaise destinataire peut très mal le prendre.
Evidemment, lors du moment important où les mariés, tels des porteurs de la flamme olympique, font le tour de la salle de réception pour allumer des bougies sur les tables des invités, je ne dois pas demander qu’on m’appelle Lucifer au motif que je porte (ferre) la lumière (lux). Pareil, au temple, puisque la tradition est d’échanger des coupes de saké et que d’anneaux point n’est question, je ne dois pas faire paniquer délibérément mon témoin en lui demandant s’il a pensé à prendre les alliances.
- Je ne dois me livrer à des sévices corporels sur personne pour motif de mièvrerie, discours cul-cul la praline ou poncifs sur l’amour avec un grand A.
Idem pour le cas improbable où quelqu’un sortirait une citation biblique (comme la Première épître aux Corinthiens dont les fadaises sur l’amour au chapitre 13 par exemple m’ont valu de devoir sortir d’une église française il y a quelques années pour cause de fou rire incoercible). Aucun risque que la chose se produise vu 1) le nombre dérisoire de chrétiens au Japon ; 2) notre cérémonie dans un sanctuaire shintō où la Bible n’est pas ce qu’on pourrait appeler le livre de chevet des prêtres du cru ; 3) l’assemblée à 99% shintoïste et/ou bouddhiste ; 4) mes invités de culture judéo-chrétienne non pratiquants, même pas croyants et dont la spiritualité avoisine le zéro absolu. Mais dans le doute, Yumiko a réutilisé mes propres mots contre moi, ceux où je promettais d’offrir aux fans de la philosophie baba cool de Jésus “pin’s” Christ le même martyre qu’à leur dieu et de les clouer au premier endroit adéquat qui se présenterait. Ayant demandé si je pouvais emporter un jerrycan d’essence pour immoler d’éventels bouddhistes qui suivraient le même chemin sentencieux, Yumi a étendu l’égide à toutes les religions. (Note pour ceux qui seraient tentés de déconner et d’en abuser le jour dit : il y aura des représailles après, l’immunité ne portant que sur cette journée.)
Il m’est interdit d’engager des hommes de main pour briser les rotules des radins à l’entrée. En effet, chaque invité doit déposer son obole dans une enveloppe pour les jeunes mariés au vin d’honneur/banquet/réception/guet-apens. C’est le moment d’être généreux (message subliminal) et de payer tribut pour que je ne vienne pas vous demander des comptes après coup. La paix s’achète, comme tout en ce bas monde.
Par ailleurs, je dois me présenter sans armes… même si j’ai rétorqué que les baguettes japonaises étant pointues, à moins de manger avec les doigts, je serais forcément armé.
Une exception : le gâteau de mariage que nous devrons découper ensemble, unique victime autorisée… mais je ne dois pas en profiter pour poignarder qui que ce soit sous couvert de maladresse camouflée derrière un “j’ai glissé, chef” de bon aloi.
- Au vu de mes piètres qualités dans ces domaines où je fais carrément figure de calamité, j’ai interdiction formelle de chanter (notamment Maréchal, nous voilà sur le chemin du temple) ou danser. Sauf qu’il faudra ouvrir le bal… Ma hantise… Pourquoi croyez-vous qu’en soirée, je suis LE gars qu’on ne voit qu’assis ? (J’admets, au-delà d’un certain temps, cela tient surtout à l’incapacité de tenir debout vu les quantités de gnôle englouties.)
Et là, Yumi ne sait toujours pas sur quoi fixer son choix vu mes performances scéniques déplorables. Excepté la chenille, je ne vois pas non plus.
Option que je garde dans un coin si personne d’autre que moi n’a d’idée géniale : le tour de la salle à califourchon sur une chaise (merci La Grande Vadrouille).
- Le jour de la cérémonie, comme on sait pertinemment qu’on n’arrivera pas à dormir à cause du stress du jour J, j’ai interdiction de lever les invités qui logeront chez nous à l’aube au doux son de La Chevauchée des Walkyries. Là, j’avoue, j’ai été con de mentionner l’idée à voix haute devant elle. Cela dit, il me reste en réserve le générique de l’Agence Tous Risques avec sa formidable rafale en intro…
J’adore quand un plan se déroule sans accroc.
- La jarretière a soulevé divers problèmes de taille. Et là, miracle, j’ai trouvé des solutions à chacun d’eux. Faut dire que le sujet me passionne, allez savoir pourquoi…
Yumi trouve la tradition amusante… ce que je mets en partie sur le compte d’un énième colifichet à ajouter à sa garde-robe. Cela dit, elle se posait des questions sur la bienséance du cérémonial. Réponse de votre serviteur : retirer la jarretière s’accomode plutôt bien avec l’humour local très pouet pouet par essence. Dans un pays où les blagues pipi-caca-prout et les gags à base de chutes et tartes à la crème sont considérées comme le summum de la déconne, un type avec la tête enfoncée dans les jupons d’une nana ne peut que trouver grâce. D’autant plus marrant dans cette contrée étrange où embrasser sa copine en public passe limite pour de la pornographie… Cerise sur le gâteau et argument de choc, je me cite : “Vous voulez copier le mariage à l’Occidentale avec robe blanche et tout le tintouin ? Il faut vous conformer aux traditions qui vont avec. Comme je dis à mes élèves : quand on copie, on assume.” On pourra m’objecter que placer un Japonais devant ses responsabilités est facile et que j’ai frappé sous la ceinture. Ouaip, tout à fait. Et la jarretière, elle ne se porte pas sous la ceinture justement ? Quod erat demonstrandum.
La question du qui ne s’est pas posée plus d’une demi-seconde, c’est MON privilège de la tripoter. Ceux qui rêvaient d’enchères et fantasmaient sur les cuisses de la miss, vous pouvez vous l’accrocher derrière l’oreille.
On passera également sur la symbolique de l’objet, la virginité appartenant aux reliques du passé. Nous avons pris “un peu” d’avance sur la consommation (intensive) du mariage. De toute façon, l’idéal virginal était déjà loin, aussi bien la nuit on s’est connu bibliquement pour la première fois que le jour où on a simplement fait connaissance. Dans ce pays où l’hypocrisie est reine, tout le monde fera semblant, et hop abracadabra. Coup de baguette magique, si j’ose dire.
J’ai mis un veto sur la solution de facilité vers laquelle certaines se rabattent par pudeur ou autre raison irrecevable : le ruban à hauteur de cheville. Argument imparable : placer le jarret à cet endroit démontrerait une méconnaissance totale de l’anatomie. Sans compter, surtout, que cet artifice me priverait du plaisir de glisser la tête sous la robe de ma femme. Yumi a peur que je profite de la retirer avec les dents pour placer un coup de langue où il ne faut pas. Et là elle est coincée : elle peut difficilement m’interdire l’accès au jardin des délices, puisque ce serait contreproductif dans un mariage. En plus, la coquine est toujours consentante pour ce genre de cochonnerie. Pour la tranquilliser, j’ai démontré photos à l’appui que personne ne verra ce qui se passe dans ses froufrous, sous réserve qu’elle ne pousse pas de couinements révélateurs.
A mon avis, c’est jouable. Tendu mais jouable. On sera sûrement à deux doigts de l’incident, voire à deux doigts tout court, mais on peut y arriver.