Acte III (bis) : Jeunes mariés

Suite et fin de notre aventure maritale (soupir de soulagement).
Jour J : mariage religieux et réception orgiaque.

Vous me voyez bien embêté (argument rhétorique, en vrai, je m’en cogne). J’ai déjà tant relaté l’événement via mail, Skype, pigeon voyageur et signaux de fumée qu’au moment de m’y atteler ici un profond ennui m’étreint. En parler encore… J’ai horreur de me répéter. Je déteste ça. J’en ai horreur. De me répéter.
Moult effets d’annonce pour finalement jouer de la touche avance rapide. Jetez-moi la pierre si le cœur vous en dit, c’est votre écran qui prend.

Acte III, scène 1 : Sanctuaire

Si vous avez déjà assisté à un mariage religieux catholique, le mariage shintō, c’est pareil. Un prêtre blablate, vous unit et hop.
Inutile de me dire que je suis un as de la civilisation comparée, je le sais déjà.

Comment résumer un mariage ? Comme une agonie : une longue attente.
Tel X-Or, le marié enfile sa tenue flamboyante à la vitesse de l’éclair. Ensuite, bibi tourne en rond. Je tente vainement d’approcher la cafetière mais me heurte à un mur familial. Café verboten au motif que le pot de chambre n’entre pas dans la liste des accessoires règlementaires. Personne ne veut me voir me tortiller comme un ver en rut pendant l’office.
Pendant que je fais les cent pas, puis mille, puis j’ai arrêté de compter, la mariée s’apprête. Une tripotée de soubrettes lui prête la main. Coiffure, maquillage, habillage, drapage, ramage, plumage… Des heures…
Yumiko sort enfin de la chambre de torture, magnifique. A côté, avec ma jupette et ma chemisette, je me sens comme un clodo.

mariage coiffure

Le cortège s’ébranle en direction du sanctuaire. Nous ne partîmes pas cinq cents, ne reçûmes nul prompt renfort. Faut savoir que le clou du spectacle, l’union proprement dite, est réservé à la famille proche. Le reste des invités sera remisé dans la salle d’attente. J’avoue que le trait culturel m’échappe : pourquoi inviter des gens et les envoyer au coin ? Déjà, dans le mariage occidental, le passage à l’église pour l’invité lambda relève de la figuration et de l’acte de présence… Mais là, les invités ne voient même pas la cérémonie et les mariés ne voient pas les invités. C’est concept…
Tout le long, la mariée est escortée par les servantes du sanctuaire, les miko (巫女). Sans doute pour l’empêcher de s’échapper si elle change d’avis. Pour le marié, point de garde d’honneur, il monte au front en solo.

mariage miko

Après s’être déchaussée – oui, on se marie en chaussettes –, l’assemblée prend place et la cérémonie commence. S’ensuit une pléthore de rituels que je ne vais pas vous décrire par le menu. En résumé, le prêtre procède à des rites de purification, offrandes aux dieux, prières, assisté de ses miko. Je suis décidément le seul à ne pas avoir droit à mes escort girls
Tout le monde écoute dans un silence religieux (désolé, fallait que je la place). Le prêtre est le seul habilité à parler et détient le monopole du verbe. Pas de discours cul-cul la praline sur l’amooouuuur de la part des invités, j’adore !
Autre cliché auquel on échappe, la Marche Nuptiale. Le prêtre et ses vestales se chargent des arrangements vocaux et instrumentaux. Les miko se fendent même d’une danse.
Le pinacle de la cérémonie en comité restreint équivaut à l’échange d’alliances. Par contamination des habitudes occidentales, beaucoup de mariés procèdent d’ailleurs à l’enfilage mutuel de bagouses. Nous non. On s’en tient à la Tradition avec un grand T. Et pas un grand thé vu qu’on va parler saké à l’occasion du san san ku do (三三九度, qui signifie simplement “trois fois trois neuf”, merci pour la démonstration de maths).
En version courte, le marié descend une coupe de saké, la mariée en descend une, le marié en redescend une. Et ainsi de suite c’est tout. On décrète arbitrairement que je suis le vainqueur du concours de picole. Rituel complexe et codifié s’il en est, articulé autour du chiffre 3, on l’aura compris. Une coupe servie trois fois, chacune au terme de trois révérences, et bue en trois gorgées après s’être incliné trois fois. En gros, ça revient à mêler ses fluides salivaires par coupe interposée mais en plus classe qu’un roulage de pelle baveuse. Plus sérieusement, il s’agit de l’instant solennel entre tous, celui qui scelle l’alliance. Je faisais bien moins le malin à l’instant T, luttant contre la tremblotte pour ne pas renverser ma coupelle…
Nous voilà mariés ! (Mais c’est pas fini…)
A un moment, je dis bien UN, le padre me prête la parole et l’assistance l’oreille. Voici venu le temps des rires et des chants vœux. Tel un émissaire royal entonnant son “oyez, brave gens” sur la place du marché, je déroule mon parchemin enluminé. Pour la forme, vu que le connais par cœur. En même temps, y a trois paragraphes courts, c’est pas comme si je récitais L’Iliade de mémoire. Les mariés déclament leurs vœux… Non, pas en chœur. Le marié parle pour deux, pendant que l’épouse a juste le droit d’écouter respectueusement son seigneur et maître.
Puis, en duo cette fois, on fait mumuse avec une branche de sasaki. Son maniement, codifié comme le reste, ne s’improvise pas et demande, comme le reste, moult répétitions… surtout connaissant mon adresse légendaire. A dire vrai, me décrire comme adroit relèverait moins de la légende que l’escroquerie pure et simple. S’agit pas de foirer le geste, laisser tomber le rameau, le tourner dans le mauvais sens… Je triche comme aux répétitions en laissant Yumi guider le bitonio pendant que ma main joue du play-back.
Enfin, les parents boivent un coup à leur tour pour sceller l’alliance entre les deux familles. Une prière et une offrande pour la route. On s’incline. The end.

Et vive la mariée !
Et vive la mariée !

Intermède

Je passe le détail de la sortie du sanctuaire… des courbettes-congratulations-félicitations-remerciements d’usage – j’en ai encore mal au dos… de la traditionnelle séance photo des mariés à deux, tout seuls, en famille, en train de faire la roue… A ce stade, on flotte sur un petit nuage comme un toxico dans une piscine de coke.
On a eu ce qu’on voulait : nous deux en grande tenue sous les cerisiers en fleur. Ouaip, ça sonne cliché, on sait. En même temps, je vois pas comment on peut faire traditionnel et original. Les deux concepts se marient mal, eux.
Alors on a peut-être eu ce qu’on voulait, mais c’est pas fini, loin de là.
La mariée s’éclipse le temps d’enfiler non pas mon organe mais son autre robe de mariée. La blanche japonaise contre la blanche à l’occidentale. Bonnet blanc et blanc bonnet, dirait le Schtroumpf à lunettes.
En un temps ((très) relativement) record, pendant que mon père et moi sifflotons le thème des poursuites de Benny Hill, la mariée change un carcan contre un autre, se démaquille, remaquille, décoiffe, recoiffe. A la vérité, ni très ni relativement et encore moins record. She’ll be back… Et revoilà la sous-préfète la Terminatrice nuptiale, prête à décoller vers la suite des festivités.
Mais avant, nouvelle séance photo because nouvelle robe.

Acte III, scène 2 : La réception

Si vous avez déjà assisté à des noces en France, c’est pareil au Japon. Des invités défilent, on boit un coup, on festoie et hop.
Inutile de me dire que je suis un as de la civilisation comparée et de l’autocitation, je le sais déjà.

Notre réception se découpe en deux temps trois mouvements histoire de la jouer “à la française”. D’abord vin d’honneur où se pointent plein de pique-assiette d’amis, ensuite le banquet où on ne garde que les gens qu’on a vraiment envie de voir… et ceux pour lesquels on n’a pas le choix sous peine d’entamer une guéguerre familiale dont on parlera encore dans vingt ans.
La ritournelle des félicitations-remerciements reprend. Ma scoliose se réveille sous les assauts des courbettes. Je rêve de massage, de doigts qui courent langoureusement sur ma peau et… Bref, j’ai mal au dos. Assez vite, on enclenche pilote automatique et le mode repeat des dōmo arigatō gozaimasu.
Ensuite, on boit, on mange, vous savez comment ça se passe.

La réception est animée par un maître de cérémonie, à mi-chemin entre un chambellan et monsieur Loyal. Il s’occupe d’organiser le défilé des boulets invités qui veulent se fendre d’un discours très original sur l’amour, le mariage, le bonheur, les Bisounours. On a bien sûr droit à l’inénarrable Powerpoint sur “notre vie, notre œuvre”. Je vais éviter de me montrer trop médisant, d’une part parce que c’est le premier que je vois qui ne repique pas le générique d’Amicalement vôtre, et d’autre part parce que le sujet mérite louanges et vivats (en toute objectivité, cela va de soi). Le Japon ayant eu le malheur d’inventer le karaoké et les Japonais celui de croire qu’il sont doués pour le chant, il a aussi fallu endurer les pousseurs de chansonnette. Bonne volonté et talents cantatoires appartiennent à deux univers bien distincts, merci pour cette démonstration.
S’enchaînent les réjouissances classiques : lancer du bouquet de la mariée à une comparse convenue d’avance, parce qu’on ne laisse rien mais alors rien au hasard… vérification discrète par le marié de la playlist, des fois que quelqu’un aurait eu l’idée de glisser des tubes comme La queuleuleu ou La danse des canards… le type qui se noue la cravate autour du front, y en a toujours un… découpage de la pièce montée sans giclée de crème sur la mariée, un exploit !… la pêche à la jarretière sur laquelle j’avais posé une option non négociable…
En cours de route, la mariée change trois fois de tenue. Oui, encore… Deux kimonos liés à autant de rites spécifiques. Yumi conclut sur une robe de soirée pendant que j’ai toujours l’air d’un loqueteux. Un peu comme si Angelina Jolie sortait avec Quasimodo.

Côté spécificités japonaises :

  • Liste de mariage zéro. A la place, on met du blé dans une enveloppe (祝儀袋, shūgi-bukuro ou abrégé en Oshugi). La pratique existe en France, ici c’est un passage obligé. L’enveloppe, nominative, se doit d’être décorée à outrance.
    Sans être fixées au yen près, les sommes répondent à un code. Un couple d’invités mariés donne davantage qu’un célibataire et les concubins sont traités comme autant de célibataires. Plus vous êtes proche des mariés, plus vous devez banquer. Selon votre statut social, vous raquerez plus ou moins.
    La somme est impérativement en liquide. Le chèque est très peu usité au Japon à cause des frais d’encaissement faramineux. Quant à la carte bancaire, la mariée a rarement l’appareil requis coincé dans sa jarretière. On n’offre que des billets neufs, sauf si vous êtes capable de les repasser comme Adrien Monk.
    Le montant ne doit pas être divisible par deux parce que ça pue le divorce ni par quatre parce que ça pue la mort (四, quatre, et 死, mort, se prononcent shi).
    Le magot ainsi récolté sert théoriquement à l’équipement des mariés et à leur voyage de noce. En pratique, il n’éponge même pas le coût de la journée.
  • Côté pognon toujours, mes parents m’ont acheté ma femme. Plus simple que la drague comme méthode pour m’aider à stopper ma collection de râteaux. En fait, il s’agit d’une pratique formelle de concours de politesse entre les deux familles. Les parents du marié proposent du blé à leurs homologues comme dédommagement pour leur fille (merci mais ma femme n’est pas une pute). Les beaux-parents refusent parce qu’elle n’en vaut pas tant (merci pour elle, vraiment). A l’arrivée, les mariés récupèrent le pognon pour pas gâcher.
  • Toutes ces histoires pécuniaires donnent l’impression qu’on bouffe à tous les râteliers, mais ce genre de réception coûte la peau du cul et une belle tranche de fesse en prime. Quelque part, les invités paient un droit d’entrée, mais ils sont nourris et abreuvés à satiété. Ils repartent en plus avec un présent, l’hikidemono (引出物). Eh oui, ici, ce sont les mariés qui offrent des cadeaux de mariage. Par commodité, les mariés laissent de plus en plus le choix dans un catalogue. Nous avons préféré procéder à l’ancienne en donnant directement le cadeau personnalisé de la main à la main. Après, chacun se débrouille avec son paquet encombrant. A eux de trouver un moyen de se débarrasser qui du service en porcelaine hideux, qui du foulard aux couleurs immondes…
  • Le plan de table relève du casse-tête ici comme ailleurs. Entrent en ligne de compte les liens familiaux et/ou personnels, le statut social ou familial, l’âge… et la langue. Forcément, impossible de disperser ma cohorte de mangeurs d’escargots aux quatre coins de la salle sauf à vouloir tenter une expérience sur la barrière de la langue. Yumi et moi, pas de question à se poser : on mange à l’écart comme des parias. Pour bien montrer notre statut de roi et reine de la fête, notre table se juche sur une estrade. Logique pour deux profs.
    Comme toujours, les soi-disant rois de la fête sont les plus mal lotis. Accaparé de tous les côtés, on mange en pointillé et avec un lance-pierre. On passe notre temps à naviguer de table en table, à jouer les chefs d’Etat débonnaires en glissant un mot au bon peuple venu nous acclamer.
  • Une de nos tournées nous amène à louvoyer dans toute la salle pour allumer des bougies sur les tables des invités. Je ne ferai pas au lecteur l’injure de lui expliquer la symbolique de la lumière et des flammes (qui purifient et chassent les mauvais esprits, mais j’ai rien dit). Un bon point : sous l’œil attentif et vaguement anxieux de ma femme qui craignait le pire, j’ai évité toute vanne sur Lucifer (“celui qui porte la lumière”) ou la flamme olympique. Son argument “sinon la nuit de noce tintin” a porté ses fruits…
  • Au rang des interdictions, on joue au “ni oui ni non” avec une liste de mots tabous renvoyant à l’idée de séparation, soit un vaste champ lexical (divorcer, casser, couper… les synonymes, les composés, les expressions associées…). Au moins, mes parents ne risquaient pas de gaffer, ils ne parlent pas japonais. Ouf.
  • Un point de détail mais pas des moindres pour un clopeur invétéré : le hakama du marié ne comporte pas de poches. Je me confonds en remerciements à Blizzard en cet instant. Diablo et World of Warcraft m’ont appris à ranger trois hallebardes et douze épées dans deux sacs à dos. Le coffre de guilde – ma mère – s’est vu confier l’attirail des clefs, téléphone, papiers d’identité, recharges de clopes. Le briquet se range dans le paquet, le paquet se cale dans la ceinture, camouflé par un pan de chemise. L’éventail avec lequel le marié est contraint de se trimballer, inutile mais obligatoire, se glisse aussi dans la ceinture. Un obi a vite fait de ressembler à un petit gars aux pieds poilus l’enfant contre-nature d’une cartouchière et d’un sac à main.

Dernier acte et ma bête noire se profile.
En général, pour des raisons de coût de location de salle, les réceptions durent rarement tard le soir. Au point où on en était déjà, tant qu’à voir grand, on a pris l’option vespérale.
La soirée dansante. La boum. Ma hantise. Les mariés ont l’“honneur” d’ouvrir le bal, pas moyen d’y couper.
Les vieux traumatismes d’adolescence remontent. Le dance floor, c’est mon Viêt Nam à moi.
Que je vous situe. Lors de nos discussions préparatoires, Yumi, qui connaît ma grâce d’enclume et ma dextérité d’unijambiste, avait dit : “ne t’inquiète pas, on va faire simple”. Après quelques essais, elle en est vite revenue de la simplicité. Comment dire ?… Un simple slow, pour moi, constitue un Everest technique. Changement d’option, on part sur du compliqué. Ah ?!?… Faut vous dire que ma femme et moi avons pour point commun un sens de la logique bien à nous. “Une danse traditionnelle, c’est ce qu’il te faut.” Ah… Je me vois déjà en collant, jupette et pompons à danser le sirtaki… Ou plutôt, je m’y vois vraiment pas… Toujours est-il qu’on aboutit à une danse japonaise traditionnelle très courte (deux minutes) et dont chaque geste est minutieusement réglé. Pas besoin d’oreille musicale, de sens du rythme ou de don d’improvisation. Du par cœur, point barre. Comme apprendre un texte en mime.
Mission accomplie. Raide comme la justice, concentré comme si je désamorçais un engin nucléaire, l’air “tellement constipé que je pourrais faire de la pub pour un laxatif”. Merci, papa, pour ce dernier compliment. J’ai offert à la famille de quoi se bidonner sur mon dos pendant les quinze prochaines années.
Si le ridicule tuait, ma femme toucherait déjà une pension de veuve.

Quelques chansons plus tard, les départs s’amorcent. Les ancêtres fatiguent, certains invités ont de la route, ma tribu française a encore la fatigue du voyage dans les pattes. Les mariés n’ont pas beaucoup dormi et tiennent surtout grâce aux nerfs.
Petit à petit, le cirque remballe son chapiteau.

Acte III, scène 3 : La nuit de noce

Nous jetterons un voile pudique sur ce moment qui ne l’a pas été.
Ma femme a eu une idée de génie avec ses changements de fringues à tire-larigot. Face à sa tenue shintō, j’aurais dû sortir ma tronçonneuse pour la désincarcérer. Une robe fourreau, c’est jamais qu’une fermeture éclair à dézipper pour déballer mon cadeau de Noël.

J'ai pas trouvé plus petit comme voile pudique.
J’ai pas trouvé plus petit comme voile pudique.

Ils vécurent heureux – nous, on l’espère – et eurent peut-être des enfants, ce qui n’est pas du tout à l’ordre du jour pour le moment, mais on verra bien, un jour, peut-être…