A vos pinceaux !

L’écriture japonaise est-elle si compliquée que le dit ?
Non, écrire le japonais n’est pas plus difficile que n’importe quelle autre langue : un stylo suffit.

Evidemment, comprendre ce qu’on écrit ou lire un texte en japonais est quand même un petit peu plus compliqué que ça. Mais avant de comprendre le sens, la seule lecture phonétique demande de savoir reconnaître pas moins de 5 systèmes d’écriture (2 exogènes, 2 endogènes, 1 mixte).

アラビア数字
Le système le plus simple ne comporte que 10 caractères, les Arabia sūji, ou chiffres arabes de 0 à 9. Ça peut paraître très bête de l’inclure dans les systèmes d’écriture japonais, mais ils sont aussi couramment utilisés que (presque) partout ailleurs.
Numéros de téléphone, code postaux (〒604-8571 pour Kyōto), valeurs portées sur la monnaie, prix, dates (2012年06月14日 pour le 14 juin 2012), heure… Rien d’original, donc. Ils sont également utilisés pour la transcription des chiffres romains, par exemple dans le cas des noms de souverains (Henri IV = アンリ4世).

ローマ字
Les caractères latins, ou rōmaji, normalement vous les connaissez, sans quoi, je serais de savoir par quel miracle vous lisez cette phrase. 26 lettres, 52 avec les majuscules, beaucoup plus si on compte les caractères avec accents et macrons (cette dernière série étant d’usage moins courant). Les Japonais les apprennent dès l’école primaire, comme les chiffres.
Leur usage est “faussement courant”, c’est-à-dire grande utilisation (on en voit partout) mais utilité limitée (selon les domaines, soit quasi-nulle, soit indispensable, sans véritable entre-deux). On s’en sert pour Internet (adresses mails, domaines nationaux), les sigles et acronymes (NHK pour la télé publique, SM pour sado-maso, OL pour office lady, AV pour adult video, CD, DVD), certains logos d’entreprise, noms de produits ou marques (soit pour une com’ lisible à l’étranger, soit pour faire style exotique), l’algèbre, quelques utilisations officielles (Nippon sur les timbres, Nippon et yen sur les billets).
S’ajoute un usage dont les Nippons n’ont rien à battre : la transcription du japonais pour les Occidentaux (signalisations et panneaux à destination des touristes principalement).
Deux points à signaler pour le touriste français qui cherche son chemin :

  • Bien que les règles de transcription soient officiellement celles du Kunrei shiki (訓令式 ou ISO 3602), la méthode Hepburn est encore la plus couramment utilisée aussi bien au Japon qu’en-dehors, ce qui peut produire différentes graphies (notamment sur les voyelles allongées, un o long peut ainsi se transcrire o, ô, ō, ou, oo, oh). Pour compliquer les choses, d’autres systèmes de transcription, tout dépassés qu’ils soient, perdurent ici et là. Enfin, les Japonais étant généralement des pines en langues étrangères, les transcriptions farfelues ne sont pas rares. Si le problème ne se pose pas par exemple sur les panneaux bilingues des noms de stations de métro à Tōkyō, il faut parfois beaucoup d’imagination pour retrouver le nom de certaines petites gares.
  • La prononciation, notamment quand on épèle, se base sur celle de l’anglais, pas du français.

A noter le cas particulier de l’alphabet grec, également utilisé mais dont on peut faire l’économie puisqu’il ne sert qu’aux mathématiciens, physiciens, économistes, antiquisants et hellénistes, soit une frange très restreinte de la population.
On parle d’eisūji (英数字) pour la combinaison chiffres arabes et alphabet latin.

平仮名
Les hiragana sont un syllabaire comportant 46 caractères de base (48 dont 2 plus utilisés). Ils sont formés sur une graphie cursive de kanji homophones. A la différence des kanji, il n’y a aucune ambiguïté possible parmi les hiragana : 1 caractère = 1 prononciation unique.

S’ajoute une soixantaine de dérivés avec les signes diacritiques (dakuten, handakuten, petits ゃ, ゅ, ょ) pour rendre les sons absents du tableau précédent (p, g, b…). Version complète ici. Les hiragana s’apprenent dans l’ordre du tableau et on ne les trace pas n’importe comment.
A quoi servent-ils ? A écrire tout ce qui n’existe pas en kanji, notamment la grammaire (particules, okurigana pour la conjugaison) et certains suffixes (さん, san, pour désigner quelqu’un) ; à différencier les lectures kun de kanji (2e option des okurigana).
Leur autre utilité majeure est d’ordre phonétique (furigana). Par exemple, quand on ne connaît pas le kanji pour tel mot, on l’écrit en hiragana, comme si en français on écrivait en alphabet phonétique ou à l’oreille parce qu’on ignore l’orthographe exacte. De même, si on pense que le kanji sera incompréhensible pour le lecteur car trop rare, trop complexe ou inconnu à tel degré de scolarité, on utilise les hiragana à la place. De plus, chaque kanji ayant différentes lectures, on utilise les furigana pour indiquer la lecture d’un mot (donc évidemment sa prononciation mais aussi par conséquent son sens si le kanji a différentes significations très variables). Cet usage vaut aussi pour les noms de famille, dont la lecture est variable, floue pour ne pas dire carrément libre.
Tous ces usages valent pour les mots japonais uniquement (je vous fais grâce des quelques exceptions). De facto, c’est la première forme d’écrit qu’apprennent les écoliers japonais.

片仮名
Deuxième syllabaire, le même que le précédent en plus raide graphiquement.

Le système de syllabes dérivées est identique en plus copieux puisqu’il doit rendre des syllabes et des sonorités inexistantes en japonais (comme le v par exemple).
A quoi servent-ils ? Ils sont d’abord réservés à tout ce qui n’est pas japonais : les noms étrangers passés tels quels en japonais aussi bien communs (ビール = bière) que propres (フランス, Furansu = France ; リール, Rīru = Lille), les mots d’origine étrangère et déformés (le terme français jupon est passé en ズボン, zubon, pantalon), les prénoms et noms de famille étrangers. Il existe quelques exceptions, par exemple des noms de pays qui s’écrivent en kanji (韓国 pour la Corée) ou la langue anglaise (英語 et non イギリス語). Les mots empruntés au chinois et au coréens ne sont pas considérés comme étrangers leur incorporation dans la langue japonaise étant très ancienne. Beaucoup de mots étrangers sont d’origine anglaise ou américaine, mais ne s’y limitent pas. On trouve des emprunts au portugais et au néerlandais (premiers pays occidentaux à entrer en contact avec le Japon), au français (バカンス, bakansu, vacances – ce qui en dit long sur l’image des Français), à l’allemand (アルバイト, arubaito, travail à temps partiel, d’Arbeit), etc.
Les katakana servent également à la transcription de certains mots japonais pour lesquels on n’emploie pas (ou plus rarement) les hiragana, comme les onomatopées ou des marques commerciales. Autre usage phonétique interne au japonais, la transcription des kanji. Quelle différence avec les hiragana dans ce dernier cas ? Les dictionnaires indiquent les lectures kun (japonaise) en hiragana et on (chinoise) en katakana. Par exemple, 人 se transcrit ひと (hito) et ジン (jin).
Parmi les autres usages particuliers, la norme scientifique est d’écrire les noms d’animaux, de plantes, de minéraux en katakana ; l’usage courant utilise plutôt les kanji. Il est également recommandé d’utiliser les katakana pour la transcription des noms japonais quand on remplit des documents administratifs (plus lisibles que les hiragana). Plus anecdotique, ils ont également valeur emphatique équivalente à une mise en italique.

漢字
Les kanji, terreur de l’étudiant en japonais !…
Un mot d’abord, je suis de l’école qui considère que les Chinois utilisent les hànzì (ou sinogrammes), les Japonais les kanji, les Coréens les hanja… C’est-à-dire que tout ce  petit monde utilise les “caractères des Han”, chacun dans sa langue. Le mot kanji est donc propre à l’usage nippon et l’expression “kanji japonais” un pléonasme (et “kanji chinois” une pure aberration).
Contrairement à l’eisūji (totalement importé) et aux kana (propres au Japon), les kanji sont mixtes. Il s’agit de sinogrammes, donc importés de Chine tant dans leur graphie que leur prononciation, mais sur lesquels les Japonais ont imprimé leur propre marque linguistique.
Les kanji sont un cauchemar à s’arracher les cheveux, d’autant plus qu’ils sont indispensables. Pour chacun d’entre eux, il faut apprendre : sa(ses) significations, sa(ses) lecture(s), son tracé, plus la clé et le nombre de traits.
Quand les Japonais ont importé le système d’écriture chinois, ils en ont également repiqué la prononciation, devenue onyomi ou on (音読み, lecture par le son). Mais comme les Japonais parlaient déjà leur propre langue, ils ont plaqué leur prononciation sur les mêmes caractères, donnant une deuxième lecture, kuyomi ou kun (訓読み, lecture par le sens). La langue ayant évolué, les kanji ont accumulé différentes prononciations et significations au cours du temps et je vous fait grâce des détails mortels (il existe par exemple des sous-catégories de lecture on et des lectures qui ne sont ni on ni kun…). Dans le pire des cas, un kanji peut avoir une vingtaine de lectures différentes et un même son peut être rendu par plusieurs kanji. Le contexte est donc primordial pour déterminer le sens et la prononciation… ce qui n’est pas toujours facilité par les nombreux non-dits de la langue japonaise.
Sans compter que tout ceci ne vaut pas que pour les kanji isolés, mais aussi pour les mots composés de plusieurs kanji et en pire : le sens d’un kanji peut encore varier dans un mot composé, certains mots se composent d’un kanji en lecture kun et d’un second en on (ou inversement), etc. Un truc de fou.
Quelques exemples :

  • 口, 効, 高, 工, 岡, 康, 公, 幸, 控, 勾, 拘, 梗, 孔, 肯, 黄, 功, 侯, 喉, 尻, 厚, 慌, 巧, 後, 港, 広, 恒, 硬, 甲, 恰, 絞, 交, 洪, 項, 仰, 皇, 溝, 光, 紅, 鉱, 后, 荒, 構, 向, 虹, 綱, 好, 郊, 酵, 江, 香, 稿, 考, 候, 興, 行, 校, 衡, 坑, 格, 鋼, 孝, 耕, 講, 宏, 耗, 購, 抗, 航, 乞, 攻, 貢, 神, 更, 降 ne représentent qu’une petite moitié des kanji qui peuvent se prononcer kō.
  • Si vous dessinez concrètement une scène sur papier, 描く se prononce kaku. Si vous dépeignez la même scène dans l’abstrait, 描く se prononce egaku.
  • 刀, katana, sabre, épée ; se prononce tō dans beaucoup de mots composés comme 日本刀 (Nihontō, sabre japonais)… mais pas tous sinon ce serait trop facile : 小刀 (kogatana, canif).
  • Le petit coucou (Cuculus poliocephalus), appelé Hototogisu peut s’écrire 杜鵑, 時鳥, 子規, 杜宇, 不如帰, 蜀魂, 田鵑 et en katakana ホトトギス sans que la prononciation varie. A l’oral et hors contexte, ce même hototogisu (ホトトギス) pourrait tout aussi bien désigner une fleur (杜鵑) qu’une moule (杜鵑).

On peut multiplier les exemples à l’infini. Dans tous les cas, c’est un travail constant d’apprentissage et de mémorisation. Y a pas de secret ni de mystère : c’est d’abord une question de par cœur, ce que personne ne fera à votre place. Ensuite, c’est question de pratique, sans quoi on oublie vite (ou on emmêle tout).
Par chance, il n’est pas question d’attendre 200000 kanji.
Pour démarrer tranquille, on attaque avec kyōiku kanji (教育漢字), soit les 1006 kanji appris au cours des 6 années d’école primaire (liste ici). A la fin de sa scolarité, un élève est censé connaître l’ensemble des jōyō kanji (常用漢字), liste officielle de 2136 caractères “seulement” (ici).
En fait, c’est plus simple et plus riche qu’il n’y paraît (si, si). Plus riche, parce qu’à l’arrivée, on connaît plus de 2136 mots. En effet, on n’apprend pas seulement un kanji tout seul dans le vent, mais aussi les mots qu’il compose. Plus simple, parce que grâce aux clefs, on retrouve les kanji de base dans d’autres plus complexes. Par exemple, 女 (femme) se retrouve dans 奴 (esclave) et 妊 (grossesse) ou 門 (porte), 開 (ouvrir) et 閉 (fermer). Enfin bon, plus simple mais plus riche, à l’arrivée, ça revient quand même à apprendre l’équivalent du Larousse.
Viennent encore s’ajouter des listes de kanji supplémentaires comme les Jinmeiyō kanji (人名用漢字) pour les noms propres, ce qui porte le total des kanji dits courants à environ 3000.

Dernière remarque
Le japonais a aussi des caractères typographiques propres dont voici une sélection :

  • 「guillemets」
  • 『guillemets doubles』
  • 々redoublement de kanji
  • point en fin de phrase。
  • virgule 、
  • points de séparation entre certains mots en katakana ou en kanji ・