Il est loin le bon temps des fêtes celtes… le joyeux Samain et ses sacrifices humains… nostalgie… soupir…
Halloween au Japon, c’est juste de la merde. Comme partout ailleurs mais en pire.
Présenter Halloween comme une tradition ayant une origine celtique, en l’occurrence la fête de Samain, a autant de sens que le faire avec Noël – qui ne fait jamais que remplacer l’ancienne fête païenne du solstice d’hiver, Jésus n’étant pas né un 25 décembre comme chacun sait. Il s’agit moins d’une origine que d’une succession, d’un plagiat, de l’ancêtre du copier/coller, l’idée consistant à faire pareil sous un autre nom, histoire de ne pas bousculer le monde fraîchement converti dans ses petites habitudes. Les chrétiens n’ont rien inventé (hormis l’Inquisition dont on ne peut a contrario nier l’inventivité).
En anglais, Halloween est la contraction de All Hallows Eve, soit la veille de la Toussaint. Avec un nom pareil, très païen donc… Le gag, à l’arrivée, Halloween n’est ni païenne ni chrétienne, donc en soi une aberration. D’autant plus au Japon, qu’on peut difficilement caser dans les pays de tradition celtique ou chrétienne.
Evidemment (si, si, c’est une évidence), par ses origines anglo-saxonnes, Halloween incarne le Mal. Son succès aux Etats-Unis, pays réputé pour n’avoir inventé ni l’eau chaude ni la poudre ni le fil à couper le beurre, la place même parmi les avatars du Mal Absolu. A plus forte raison remixée à la sauce locale, c’est-à-dire mercantilisée comme pas permis.
Adeptes des boulots saisonniers, après avoir été fleuriste, restaurateur ou chocolatier à la Saint-Valentin et avant de jouer les Pères Noël, fabricant de jouets ou éleveur de dindes en décembre, vous trouverez là le créneau parfait comme loueur de déguisements, vendeur de bonbons (puis dentiste) ou cultivateur de citrouilles. Vous pouvez également vous entraîner à distribuer des bonbons en vue d’une carrière de pédophile.
Aujourd’hui, on chercherait vainement une vague signification religieuse ; et même au plan du strict folklore, faut se lever de bonne heure pour y trouver le moindre sens. J’avoue éprouver quelques doutes sur la légitimité d’une pratique consistant à se promener masqué pour racketter des bonbons sous la menace d’un sort. La différence avec un braquage ?…
Quid de cette mascarade au Japon ?
La population celte étant d’environ zéro, le vague rapport avec Samain est inconnu. Les quelques chrétiens (2%) fêtent la Toussaint, pas Halloween (ハロウィン). Bouddha ne distribuait pas de bonbecs et je n’ai pas connaissance d’un kami des citrouilles, donc dans un pays de tradition shinto-bouddhiste, globalement, tout le monde s’en tamponne le haricot comme à Setsubun.
Cela dit, Halloween a ses adeptes au Japon. Alors attention, c’est fêté à la japonaise. Juste pour faire comme les voisins (surtout le voisin américain en fait). La fête est importée avec son décorum et certaines pratiques associées, point. Au niveau des racines, de la signification ou même de la simple compréhension, zéro absolu. Ce côté “singe savant” qu’on prête souvent aux Japonais qui copient sans chercher à capter le pourquoi du comment. Comme Noël ou la Saint-Valentin, il ne s’agit à l’arrivée que de “pur” marketing… et à peine d’une fête puisque personne ne s’amuse.
En pratique, la déco des magasins passe à l’orange, les citrouilles fleurissent un peu partout… et ça s’arrête là ou à peu près.
Ici, on ne rackette pas ses voisins, question de politesse. De toute façon, à Kyōto, vu le nombre de temples, donc de prêtres capables de pratiquer des exorcismes, menacer quelqu’un d’un sort présente autant d’efficacité qu’un pistolet à eau pour braquer une banque. Point de gamins braillards dans les rues, donc. D’ailleurs j’y ai veillé en surchargeant mes élèves de boulot à me rendre impérativement le 1er novembre sous peine de se faire sacrifier pour Samain à coups de citrouille.
Il se trame bien quelques manifestations ici et là. Je mets à part le cas de Disneyland où l’événement est fêté en grande pompe. Disneyland, est-ce vraiment le Japon ? Ou au même titre qu’une ambassade, un bout de territoire américain ?… Le plus gros a lieu à Tōkyō ou dans sa banlieue (comme la parade de Kawasaki) ; en “province” en revanche, c’est plutôt le désert… Et quand je dis “le plus gros”, on parle d’un cortège de 200 personnes dans les rues de la capitale… qui compte 13 millions d’habitants. Et même à Kawasaki qui représente LE défilé d’Halloween, les chiffres ne montent qu’à 3000 participants. Un peu léger, donc.
En résumé, un royal jemenfoutisme on ne peut plus justifié pour ce qui est sans doute la tradition la plus vide de sens au monde. Je la classe même derrière la Saint-Valentin, c’est dire ! Ben oui, le 14 février, avec une boîte de chocolat et un peu de baratin, vous avez une chance d’emballer et de tirer un coup pour occuper la soirée. Alors que l’atout séduction grimé en zombie…
Qui fête le plus Halloween ? Evidemment, les gaijin, du moins la frange la moins civilisée d’entre nous eux. Leur coutume barbare consiste à organiser une chouille dans le métro de Tōkyō, la Yamanote Halloween Party. L’idée partait peut-être d’un bon sentiment… encore qu’on puisse se poser des questions sur le fait d’imposer publiquement une fête étrangère dans un pays qui n’est pas le sien. Mais bon, Halloween et savoir-vivre étant antinomiques… La fiesta est désormais encadrée par la police pour deux raisons. La première, les gaijin eux-mêmes qui ont dû oublier quelque part que le métro n’a pas vocation à accueillir un bal aussi costumé qu’aviné. Parce que l’idée bon enfant a vite dégénéré à coups de picole, boucan, bousculades… Pas forcément du goût des usagers. Qu’on fasse la java en se bourrant la gueule, soit, je suis le premier à demander où signer. M’enfin, y a quand même des endroits plus appropriés que d’autres et déconner n’implique pas nécessairement de faire chier les autres. La seconde, la police doit non seulement surveiller les éventuels débordements des loustics déguisés mais aussi empêcher les Japonais de leur pulvériser les dents ou les rotules, d’autant que les nationalistes y voient un bon argument contre la présence des étrangers considérés comme des fauteurs de troubles (et là pour le coup, ils ont raison).
Chacun aura donc compris à la lumière de cet exposé objectif que nous n’avons pas fêté Halloween à la maison (si on met de côté le passage où Yumi et moi nous sommes retrouvés déguisés en Adam et Eve rejouant le péché originel). Je n’ai même pas eu le cœur de me livrer à une de ces idées intelligentes dont j’ai le secret comme massacrer une citrouille au katana ou la creuser en remplaçant le traditionnel visage grimaçant par un “fuck Halloween” de bon aloi.