Qu’est-ce qui définit le super héros ?
- son costume
- ses gadgets (hotte inépuisable)
- ses signes extérieurs de richesse épique (traîneau vs. Batmobile)
- sa base secrète (Pôle Nord vs. batcave)
- son identité secrète (le Père Noël fait forcément autre chose le reste de l’année)
- son acolyte (les elfes à la con)
- ses super pouvoirs (don d’ubiquité, vitesse lumière, se faufiler à travers les cheminées, boire des hectolitres de lait de poule sans être beurré)
Eh bien, j’ai découvert l’identité du Père Noël !
En effet, depuis peu, j’ai un député. Enfin que je dis “j’ai”, c’est surtout les autres qui l’ont, ceux que ça intéresse ou que ça concerne. Pour ma part, j’ai une conscience politique de l’ordre du zéro absolu et je relève au mieux de l’anarchisme de droite. Qui plus est, n’étant pas parti temporairement mais définitivement, je me sens encore moins touché par ce qui relève de la politique française qui n’est plus la mienne. Bref, osef.
Je suis d’ailleurs curieux de connaître le nombre d’expatriés que le sujet passionne, sans doute pas des tonnes vu les 26% de participation dans ma circonscription.
Les expats, ces gros cons
Nous sommes les “Français de l’étranger” ! J’avoue que je ne suis pas sûr de savoir comment prendre l’expression quand on sait que le mot étranger a toujours un petit quelque chose de pas net hérité de l’hospes hostis romain. C’est toujours mieux que “Français du monde” qui sonne folklorique et renvoie l’image d’éleveurs de chèvres à Katmandou jouant de la flûte de Pan en poncho bariolé.
Sinon, nous sommes les expatriés. Car en France, on n’émigre pas, on ne devient pas des immigrés dans le pays d’accueil : on s’expatrie. Tout est dit. Emigré rappelle trop les exilés politiques et donne une mauvaise image de la terre des droits de l’homme (sic). Quant à immigré, sortez le mot en France et demandez à qui votre interlocuteur pense tout de suite. Sa réponse induira une connotation péjorative à un mot ou un autre. Les termes écartés en disent long sur la mentalité française à l’égard des migrations. Quant au terme choisi, il en dit tout aussi long sur ce qu’on pense de nous, les salauds qui ont abandonné la mère-patrie.
Bref, nous sommes les expatriés.
Dans l’ensemble, on tient aux expats deux discours :
1) Nous sommes les représentants de la France à l’étranger, les porteurs du flambeau de la culture française et de la francophonie. Bon, ça c’est quand on a un truc à nous demander derrière, notamment des voix en période électorale. Il suffit de voir la création du poste de secrétariat d’Etat chargé des Français de l’étranger l’an dernier : on pense à vous, les gars, votez pour nous en mai prochain.
2) Le reste du temps, on est juste des traîtres à la nation. Fuite des cerveaux, des capitaux, des talents… on est parti avec la caisse et on est des fumiers. On nous reproche de n’avoir rien à secouer de la mère-patrie. En même temps, on n’y vit pas…
3) Ceci dit 90% du temps, y a zéro discours sur nous, le corollaire du point 2, c’est qu’on existe à peine et qu’on n’en a rien à battre de nous. Ce qui se justifie dans un sens par le fait qu’on ne dépende plus de la France mais du pays d’accueil pour à peu près tout (résidence, administration, loi, emploi, fiscalité…). Ce fameux poste de secrétaire d’Etat précédemment cité est assez éloquent : son premier titulaire, David Douillet (déjà quoi…) s’est tiré à la première occase pour un poste plus prestigieux (oui, on pue, on sait). En un an, le poste a déjà été remanié x fois (transformation en ministère délégué, ajout/retrait de la Francophonie) et depuis les présidentielles de 2012, on a déjà eu deux personnes nommées en un mois.
Sauf que “les Français de l’étranger”, n’est juste qu’un grand sac fourre-tout pour emballer la diaspora française. C’est oublier la multitude de cas particuliers, et surtout ne pas tenir compte d’un fait majeur. Le monde des expatriés se divisent en deux catégories : ceux qui creusent leur trou et ceux qui ont des valises chargées.
Les seconds sont détachés temporairement, expatriés pour x années dans le cadre de tel ou tel poste ou encore partis vivre à l’étranger en comptant revenir un jour en métropole. Les premiers, eux, sont partis et pour de bon.
Dans tous les cas, nous incarnons le Mal (quand on pense à nous). Déjà, la coutume veut que “les expatriés votent traditionnellement à droite”, ce qui était vrai il y a trente ans et ne l’est plus aujourd’hui. Moitié parce que la proportion de votes à droite a baissé, moitié parce que la tendance des expatriés rejoint de plus en plus celle de la métropole. Et faut garder le sens de la mesure : des chiffres à 50 et quelques pour cent, c’est quasi kif-kif, pas une écrasante proportion napoléo-plébiscitaire.
Ensuite, on est fabuleusement riches. Tous ! On se barre pour planquer notre magot en Suisse. Oui et non. Le revenu moyen d’un expatrié est nettement supérieur à celui d’un métropolitain, c’est un fait, mais on n’a pas tous des salaires de ministres. Ceci dit, les chiffres ne tiennent compte que du revenu en oubliant le niveau de vie local (dont le côut peut être plus élevé qu’en France). De plus, ils sont biaisés par le fait que la proportion d’expatriés avec un emploi est conséquente (de l’ordre de 80%), justement parce que beaucoup de départs se font pour raisons professionnelles. Enfin, le niveau de salaire doit beaucoup au fait que les expats représentent une population hautement qualifiée (en 2010, 15% ont bac+2 contre 9% en France, 74% ont bac+3 et plus contre 10% en France). On a le salaire qu’on mérite, est-ce notre faute si d’autres pays offrent davantage que des cacahuètes ? C’est un peu pour ça qu’on part aussi. Pourquoi rester en France où pour le même poste à niveau de dipôme égal, je toucherais moitié moins ?
Quelque part, on a donc le tort d’une certaine réussite. On valorise les diplômes et l’emploi sur le papier et en pratique, on devient un fumier de nanti (ce qui vaut dans l’Hexagone aussi où l’entreprenariat est plombé par la “honte de la réussite” qui vous fait passer dans le camp des méchants patrons et de “ceux qui ont de l’argent”). On a le tort aussi de ne pas remplir le dernier critère du triptyque travail-famille-patrie et de faire montre d’un certain sens critique vis-à-vis de la métropole. Une enquête de 2010 sur l’expatriation menée par la Maison des Français de l’Etranger fait ressortir dans les commentaires libres la volonté de partir pour un faisceau de raisons comme “changer d’air”, un marché français de l’emploi qui bande mou, une meilleure qualité de vie ailleurs où l’herbe est réllement plus verte, etc. Passage qui m’a le plus parlé : “beaucoup de sondés affirment avoir voulu “fuir une France dépressive et sclérosante” ou célèbrent l’“absence de grèves, de polémiques permanentes” qui caractériserait leur nouveau pays de résidence. Le système administratif français est parfois dénoncé pour sa lourdeur et son formalisme.”
Bah ouaip, on s’est barré aussi parce que tout n’était pas parfait à la maison, n’en déplaise à la France et à la haute idée qu’elle se fait d’elle-même.
Aujourd’hui, après s’être intéressés à nous pour de basses motivations électorales (ce qui est à mon sens crétin de nous prendre pour des truffes vu notre niveau de qualification qui nous rend un peu pigeonnables que l’idiot du village standard), les politiques de tous bords s’intéressent à nous pour de basses raisons matérielles. Oui, parce que nous sommes des Français qui ne rapportent rien, paraît-il. Bon, déjà, ce n’est pas forcément vrai pour ceux qui disposent encore en France de revenus, avoirs, domicile fiscal. Mais surtout, c’est justifié par un minuscule détail, vraiment deux fois rien, à savoir qu’ON N’HABITE PAS EN FRANCE !
Le tollé sur la taxation des expatriés m’a d’ailleurs bien fait marrer, puisqu’il n’est dû qu’à un raccourci sur les expatriés fiscaux. Et ma foi, ponctionner les nababs qui planquent leur bas de laine en Suisse ou au Luxembourg uniquement pour échapper à l’impôt, j’avoue y être favorable. Sauf que ça commence comme ça et on ne sait pas où ça s’arrête…
L’idée qui flotte notamment à gauche et depuis un moment, serait de “rappeler cette nationalité à ceux qui sont partis, et leur demander de payer quelque chose en France, pays où ils sont nés, où ils ont été soignés, où ils sont allés à l’école”, dixit un type du PS dont j’ai oublié le nom. Partant de ce principe, autant carrément rendre tous les Français imposables à la naissance. Démarrer l’existence sur une taxe per capita qu’on paierait… en talc et couches-culottes ? Surtout qu’à l’époque où on est né et où on est allé à l’école, on a déjà payé des impôts par l’intermédiaire de nos parents, non ? Le concept de l’impôt rétroactif, c’est gonflé quand même… Sur le principe, on pourrait aussi imposer les morts, ils rentrent dans les mêmes critères. On est donc des sales profiteurs, au même titre que les chômeurs, les RMIstes, etc. Ah la France, merveilleux pays qui offre énormément de droits sociaux (je le dis pour une fois sans ironie), mais vous traite comme la pire des sangsues si vous demandez à en bénéficier. Faudrait savoir… Si le fait de toucher un RSA, des Assedic ou une quelconque prestation légitime au regard de la loi transforme le bénéficiaire en une saloperie de vampire, je conseille à la classe politique de les supprimer (au choix les allocations ou les vampires), histoire de clore le débat. Evidemment, considérer que des gens puissent en avoir besoin et en être bénéficiaires sans que ce soit nécessairement un abus honteux des finances publiques serait plus adulte, mais bon, j’en demande peut-être beaucoup.
Je rappelle au passage que ces services et ces impôts, on les a payés du temps où on vivait et travaillait en France. Et puis maintenant qu’on est partis, ce serait vraiment équitable de nous faire payer pour des services auxquels on n’a même pas accès ? Surtout que ce n’est pas comme si on ne payait pas d’impôts du tout. On en verse… à un autre Etat.
Marrant de se dire que les expatriés ne sont des Français auxquels on pense toujours de façon désintéressée (hum…) en lorgnant sur leur bulletin de vote ou leur portefeuille.
Petit papa Noël
Puisqu’on est toujours quelque part des traîtres à la nation, ce sera donc sans honte que j’irai jusqu’au bout de ma trahison envers la “nation France” (formule que je repique à l’historienne Colette Beaune). Comme la double nationalité n’existe pas au Japon, il faudra bien que j’en largue une pour prendre l’autre. Et ce sera sans regrets.
Attention, en dépit de tout le mal que j’en dis, de toutes les comparaisons défavorables qui émaillent mes articles, j’aime la France et je reste profondément attaché à ma terre natale. Sans quoi, je n’enseignerais pas sa langue et sa culture, faudrait être plus masochiste que je ne le suis. Mais cette affection ne porte “que” sur l’entité culturelle, historique, géographique, linguistique, touristique. Parce que le reste, ouhlà, je suis bien content de l’avoir quitté. La France en tant qu’Etat ne me manquera pas, pas plus que la façon dont tourne la boutique avec son administration délirante, ses éternels retards de trains, ses récurrentes grèves de profs et j’arrête là la liste sans quoi je n’en verrai jamais le bout. Je me connais assez pour savoir que jusqu’à la fin de mes jours, je resterai Français dans l’âme, je serai toujours né en France, j’y aurai toujours vécu 35 ans, je serai toujours de langue et de culture française et j’aurai toujours mon accent picard.
Enfin, je ne comprends pas pourquoi, pour les gens dans mon cas, on n’est pas resté sur le fonctionnement d’Ancien Régime et le jus soli. Je trouverais justifié d’être déchu de ma citoyenneté, au moins administrativement quitte à le rester de cœur. En cas de départ définitif, disposer de la nationalité d’un pays où on ne réside plus relève du grand n’importe quoi, faut être honnête..
Appartenant à la catégorie d’expats partis à la Cortès, tout ce qui m’intéresse, c’est ce qui se passe dans mon nouveau chez moi. Autant dire qu’un député… prrrrrt… (bruit de bouche dubitatif)
Les députés, grande nouveauté de cette année (sauf qu’on y a droit depuis 2008 en théorie). Motivation des foules : 26% ! Enorme ! Même en mettant de côté les éternels abstentionnistes, les gens pas au courant, ceux qui n’ont pas fait les démarches d’inscription sur les listes électorales, le noyau dur électoral s’est finalement montré aussi mou qu’une montre de Dali.
Moi, j’ai réussi la totale : je ne vote jamais, je ne suis inscrit sur aucune liste électorale et j’ignorais la date des élections. Et quand bien même, je vis au Japon avec une Japonaise, j’y travaille pour et avec des Japonais. Je ne suis plus concerné, ma vie française étant un chapitre passé, une page tournée de mon histoire personnelle. M’intégrer dans ma nouvelle patrie implique nécessairement de brûler certains vaisseaux.
Et quand bien même (bis), je reste trèèèèèèèèèès dubitatif sur l’intérêt de la chose. Si je me rappelle bien mes cours d’éducation civique, un député légifère. Sauf qu’en premier lieu, ici, je suis soumis à la loi japonaise. Même si j’y mettais de la bonne volonté, je ne vois pas ce qu’un politique français pourrait faire pour moi en matière législative.
Quant à ce qui est de relayer d’éventuelles doléances de ma part, je n’en ai pas. Servir d’interface auprès des administrations, merci, je suis un grand garçon, je me débrouille tout seul, et surtout, j’ai déjà donné auprès des services administratifs français, je préfère encore me tirer une balle dans chaque pied qu’y être confronté de nouveau, même à travers un intermédiaire.
Et quand bien même (ça commence à faire plus de “si” que dans un camp de bûcherons), il va faire comment, le gars ? Ma circonscription couvre rien moins que la Russie, l’Asie et l’Océanie ! 49 pays ! la moitié des terres émergées ! Des ouailles qui peuvent aussi bien habiter Moscou que Sydney (15000 bornes entre les deux). Rien que pour visiter les administrés, une législature n’y suffirait pas. De l’aveu même des députés (toutes circonscriptions confondues), ils envisagent de passer 5-10 jours par mois dans leur fief. Déjà, rien que l’aller-retour Paris-Tokyo, boum, c’est déjà une journée à moins d’avoir un traîneau magique. C’est vrai, si on aime les voyages, c’est l’occasion de courir le vaste monde, voir de beaux paysages, se taper des gueuletons exotiques et remplir de pittoresques albums photos. Et le reste du temps ? Au chaud à Paris, à suivre la situation de loin.
Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que ces députés de l’étranger ne vont pas faire beaucoup mieux que nos sénateurs. Oui, parce qu’on a 12 sénateurs déjà, dont je cherche encore l’utilité réelle. Autant dire que ce n’est pas ça qui va me réconcilier avec la classe politique et sa proverbiale efficience.
Sauf à avoir la rapidité et l’efficacité du Père Noël qui en une nuit réussit à accomplir le tour de la planète et son devoir.
A 35 ans, j’ai passé l’âge de croire au Père Noël.