Contrairement à ce qu’on serait en droit d’attendre du titre ou de ma part – notamment après le récit de mes frasques à Kabukichō ou dans les love hotels –, je ne suis pas allé tester un imekura (イメクラ) pour forniquer joyeusement avec une donzelle grimée en accorte soubrette. Yumiko s’en charge déjà à la maison, elle a le costume et le talent…
Non, le roi de la gaudriole n’a fait que goûter à une sage spécialité locale du quartier d’Akihabara à Tōkyō : le maid café.
Stricto sensu, le meido kissa (メイド喫茶) est un salon de thé (茶), mais en pratique c’est un café-bistro-bar-estaminet-autres-synonymes. L’appellation meido kafe (メイドカフェ) existe également. Je parlerai de maid café par commodité, même si a) je déteste le franglais hors interviews de JCVD, et b) “bar à soubrettes”, ça sonne quand même mieux.
Le sens du se(r)vice
En soi, le concept, qui remonte aux tournant des années 1990-2000, n’a rien de fabuleusement original. On vient y boire un kawa ou un thé, baffrer une pâtisserie, bref des cafés/salons de thé comme on en trouve partout dans le monde. La différence évidente vient du service, ou plutôt des serveuses, costumées en soubrettes à la française ou à l’anglaise. Deuxième différence, quitte à avoir un personnel pourvu d’un uniforme aussi attractif, autant en faire quelque chose, tel un monarque achéen quittant la douceur de son foyer pour tomber sous les murs de Troie, dirait Homère.
Ainsi on y est accueilli comme un lord anglais à grand renfort de “Monsieur” (旦那様, dannasama, ou お嬢様, ojōsama pour les femmes), ce qui flatte l’ego, et de “bon retour à la maison, maître” (お帰りなさいませ、御主人様, Okaerinasaimase, goshujinsama). Dans certains cafés, votre serveuse pleurera à votre départ comme si vous vous en alliez vers un destin funeste.
Par ailleurs, un maid café propose quelques services bonus comme du merchandising (figurines, CD, bibelots), des animations (soubrettes qui chantent, soubrettes qui dansent, mais pas de soubrettes qui se déshabillent), photo souvenir en compagnie d’une serveuse, passer un moment à tchatcher avec une maid comme on le ferait ailleurs avec une geisha ou une hôtesse… Il va de soi qu’à la sauce japonaise, ces services peuvent aller très loin sur la planète “Grand Malade”. Par exemple, comme vous êtes le chef, le boss, le grand manitou, le gros bonnet, la vedette, le singe, le cerveau, vous n’avez rien à faire : la demoiselle qui vous sert met le lait et le sucre dans votre café sans que vous ayez à lever l’aristocratique petit doigt. Votre assiette est personnalisée avec un message de votre serveuse écrit au ketchup sur votre bouffe (notamment l’omelette de riz omuraisu, オムライス) ou des dessins tracés dans autour de votre gâteau avec du chocolat liquide. Ailleurs, vous pouvez être filmé pendant tout le temps où vous déguster votre café en charmante compagnie et repartir avec le DVD souvenir. Ou encore un café où les maids nourrissent les clients à la cuillère comme des bébés. Ou enfin un jeu d’expériences culinaires où les soubrettes concoctent des cocktails “maison” (le terme “expérimental avec des yeux de savant fou” serait plus juste) et collent des baffes aux clients qui ne les boivent pas.
Bien sûr, tout ceci se monnaye. Les prix, au même titre que les extras ou les uniformes, varient énormément d’un établissement à l’autre. Au cours actuel, la somme en euros s’obtient en divisant à peu près par 100. On peut trouver des DVD souvenirs à 1500 ¥, photo personnalisée à 500 ¥, jeu du cercueil (ou cocktail maléfique) à 2500 ¥, 1h30 de compagnie à votre table pour 9000 ¥, droit d’entrée de 500 à 1500 ¥… Ça se résume à “tout est payant” et “tout est cher”.
Lors de notre descente au “club maid” (jeu de mot affligeant mais incontournable), notre serveuse attitrée a bien sûr essayé de nous pousser à la consommation. J’ignore si elle perçoit quelque chose sur chaque prestation à laquelle on succombe, étant totalement ignare sur le fonctionnement salarial nippon en-dehors de ma propre fiche de salaire. Toujours est-il qu’après nous avoir expliqué le fonctionnement de la boutique, on a eu droit à la liste de ce qu’on “devait absolument faire”, liste aussi longue que ma b… que mon bras. N’étant pas trop tenté par un pierre-feuille-ciseaux (oui, on peut payer pour y jouer), on s’est rabattu sur la traditionnelle photo avec notre soubrette. Rusé comme un renard et m’étant renseigné sur le sujet avant notre virée tokoïte, j’ai laissé la miss gribouiller au verso de la photo. Oui, parce qu’entre son nom (Kaeko), un cœur, la date, le nom du café et une dédicace, le tout au marqueur, on n’aurait plus vu grand-chose de la scène principale au recto.
Fraülein Kaeko nous a ensuite proposé de faire d’autres photos avec les soubrettes de notre choix… Bon. Ayant un esprit de décision analogue à celui d’Adrien Monk, donc incapable de choisir, et voyant que x photos avec x soubrettes allaient revenir très cher, j’ai “fait mon Français”, grand seigneur et resquilleur, lançant l’idée d’une photo de groupe en compagnie de toutes les soubrettes et de Yumiko, soi-disant “pour ne pas faire de jalouses”… et assurer la survie de notre porte-monnaie… ce qui n’a servi à rien, la facture portant sur le nombre de soubrettes, pas de photos. Yumi le savait, ne m’a rien dit (logique) et m’a laissé faire, hilare… Mais bon, c’était lancé, je me suis donc conformé à l’usage local : parole donnée, parole honorée. Argent envolé…
Parmi les particularités de ce genre de lieu, il faut savoir que les maid cafés sont très populaires et que la majorité de la clientèle est otaku, donc japonaise. Ce qui implique deux choses.
Premièrement, on n’y trouve pas forcément de place, surtout dans les petits établissements qui tournent avec une clientèle de squatteurs nolifes d’habitués. Il peut y avoir une à deux heures d’attente avant de dégotter une place. De ce fait, pour des questions de rendement, certains établissements, au bout d’un laps de temps plus ou moins long, vous mettront poliment dehors ou vous factureront le temps supplémentaire ou vous inviteront à reconsommer pour justifier de rester. Il faut savoir qu’on n’entre pas juste pour mater : consommer est obligatoire, et certains établissements imposent carrément un droit d’entrée.
Deuxièmement, si vous ne parlez pas japonais, outre vous attirer mes foudres habituelles sur ce sujet, vous risquez d’être bien emmerdés face à un personnel qui lui ne parlera pas forcément anglais.
Troisièmement (même si j’avais dit deux choses), bien que le quartier d’Akihabara en concentre une quantité effarante, il n’a pas le monopole des maids cafés, on en trouve dans toutes les grandes villes, dont Kyōto, ce qui m’a permis de réitérer l’expérience sur mes terres, évidemment dans un souci scientifique de comparaison empirique.
Le sens du devoir
C’est une évidence de dire qu’on ne va pas dans un maid café juste pour le café, mais je le dis quand même. On y va aussi… surtout… pour se rincer l’œil, la connotation sexuelle de l’archétype soubrette étant ce qu’elle est et les uniformes customisés étant ce qu’ils sont (très très courts).
Donc un conseil, si c’est juste pour mater, vous pouvez faire de copieuses économies en restant dehors. Et ce sans vous faire embarquer par les flics parce que vous avez le nez scotché à la vitre et la bave aux lèvres, tel un collégien avec l’œil rivé au trou de la serrure du vestiaire des filles. En effet, dans le quartier d’Akihabara qui possède la plus forte concentration de maid cafés au mètre carré, il y a des soubrettes plein les rues qui distribuent des flyers pour la promotion de leur établissement. Beaucoup sont en effet situés dans des coins improbables style fin fond de ruelle, donc impossibles à trouver sans indication. Suffit de sortir et d’ouvrir ses yeux de voyeur, ce qui ne coûte ni argent ni effort.
Un détail concernant les photos : c’est normalement interdit dehors. Vous pouvez la jouer “photo volée” prise de dos ou par surprise. A vos risques et périls, car pour éviter les emmerdeurs, il arrive que les distributrices de tracts soient accompagnées d’un employé masculin, qu’on ne repère pas toujours et qui peut vous valoir quelques menus problèmes si vous êtes obsédé du téléobjectif ou entreprenant. Les photos en douce sont assez mal vues (ça vous plairait vous ?) et il n’est pas rare que les miss se cachent le visage ou se détournent si elles vous voient faire. C’est très ballot, parce qu’il suffit de leur demander poliment et généralement ça passe tout seul, elles adorent ça et se prêtent au jeu de très bonne grâce (le prestige du touriste…). En plus dehors, c’est gratuit, pas comme à l’intérieur.
A l’intérieur, justement. Photos verboten ! Vu que c’est un service payant, pas question de mitrailler… De plus, on n’est pas dans un bar à putes, donc on ne touche pas, on ne tripote pas, on ne pelote pas, on ne demande pas le numéro de la miss, on évite de faire tomber 12 fois sa cuillère pour mater sous les jupes, bref on se tient à carreau. C’est juste pour l’ambiance et le plaisir des yeux, c’est tout. De toute façon, il y a un règlement affiché très clairement sur la conduite à tenir.
Un kawa(ii) et l’addition
Le maître mot de tout ceci est kawaii (可愛い ou かわいい), c’est-à-dire mignon, donc sans rapport avec le K-Way de Dany Boon. En France, on appellerait ça un truc de fille ; au Japon, le concept fonctionne dans tous les domaines jusques et y compris l’armée. Ce qui explique cette impression qu’on a de régresser au stade infantile, permettant certes une cure de jouvence, mais entraînant la perte temporaire de 90% de son intellect.
Par exemple, tous les trucs à base de moe (萌え) et les incantations pour améliorer le goût de la nourriture en faisant la forme d’un cœur avec ses mains. Tout à fait mon style. Surtout quand on sait qu’avec mon crâne rasé, mes fringues noires et mon teint de porcelaine, je ressemble à Dark Vador sans son casque, même mentalité de génie du Mal en prime…
Ou encore les oreilles de chat ou de lapin qui agrémentent le costume traditionnel. Ça plaît aux otakus, personnellement, je trouve ça immonde. Heureusement, ce n’est pas systématique, loin de là, on peut donc profiter du reste de la tenue, souvent courte et décolletée, parfois très éloignée de la version originale.
A noter aussi que si l’on est comme moi un avatar du Mal (comment ça mégalo ?), on peut se sentir mal à l’aise dans cette ambiance Disneyland. Les serveuses sont jeunes, en moyenne 20 ans, mais se comportent comme si elles en avaient la moité voire le tiers. Ceci dit, il faut bien qu’elles se conforment à l’image des soubrettes naïves de manga pour plaire à la clientèle d’inadaptés sociaux vivant dans un monde fantasmatique que sont les otakus. Les chansons en faisant les marionnettes avec les mains ou les voies suraiguës de gamines peuvent mettre les nerfs à rude épreuve. Mais on leur pardonne, d’abord parce qu’on est là de son plein gré et en connaissance de cause, ensuite parce qu’on n’a pas tous les jours l’occasion d’être servi comme un prince au doux son de “seigneur et maître” et enfin parce qu’on se détend en leur matant le cul plein de dentelle. Et puis ça me change de mon monde à mi-chemin entre Jérôme Bosch et Dante (je suis moi-même un inadapté social de première, mais dans l’extrême inverse).
A noter que l’ambiance kawaii est la base du maid café, ainsi que le service. C’est davantage maid que café et la qualité de la boustifaille est un élément secondaire par rapport au décorum. Selon les endroits et l’attention accordée au “détail” culinaire, on peut donc tout aussi bien déguster une pâtisserie gastronomique que se contenter de dévorer du regard en évitant de toucher à son omelette en carton.
Un concept… très concept
Le concept du maid café présente quelques variantes comme les serveuses en costume de majordome, des serveurs en tenue de soubrette, du personnel uniquement étranger…
Le concept des soubrettes s’est étendu à d’autres types d’établissements, grand public (casino, salon de massage ou de coiffure, taxi) ou spécialisés (comme les pink salons où on peut se faire turlutter par une maid). Je pense que notre prochaine virée à Tōkyō se fera en compagnie d’une guide-soubrette (oui, oui, ça existe !).
Le concept du cosplay a été décliné dans d’autres cafés regroupées sous la dénomination Kosupure-kei inshokuten (コスプレ系飲食店) et dans lesquels on peut trouver des schoolgirls, des nonnes, des maiko…
Je n’ai pas cherché le détail, mais il ne me semble pas que le maid café se soit beaucoup exporté. On pourra toujours m’objecter tel ou tel exemple, mais reconnaissons qu’ils sont anecdotiques. J’avoue que ça me surprend vu que le fétichisme des soubrettes n’est pas le seul fait des otakus loin de là. Sa récurrence dans la filmographie X occidentale suffit à le prouver. Ceci dit, dernièrement, l’idée a été lancée pour une exportation en Asie (article ici) dans le cadre du commerce culturel.
En dépit du caractère éminemment sexy du concept, les règles sont strictes et le plus souvent respectées. Pour ce que j’ai vu lors de mes descentes dans les “bars-maid” (super le jeu de mot !), les gens y sont “normaux”, avec beaucoup de jeunes de la tranche 18-30 ans, pas mal de couples, une poignée de touristes, à l’occasion un groupe de nanas (kawaii powa !). On est loin de l’établissement glauque fréquenté par des pervers pépères en imper marron.
A titre d’anecdote, un truc que j’ai pu tester à Kyōto et qui doit sans doute marcher à Tōkyō aussi : soubrettes et policiers, même combat. A croire que c’est lié au port de l’uniforme… Je marchais paisiblement dans la rue où je me suis fait accoster par une donzelle dont j’ai tout de suite deviné la profession grâce à mon génie infini (sa tenue de soubrette m’avait donné un indice, je reconnais). Elle me tend un prospectus et commence à me faire l’article du café. Moi, évidemment, intéressé, j’écoute, j’acquiesce (je mate). Evidemment, le café est situé à l’étage, dans une ruelle minuscule et anonyme, donc indétectable. Elle m’y a donc accompagné, ce qui m’a valu cinq minutes de promenade en charmante compagnie. Ma foi, c’est toujours bon à prendre.
Note additionnelle :
Yumiko me charge de vous dire qu’elle est plus jolie dans sa tenue de soubrette que toutes les photos de cet article multipliée les unes par les autres (sur certains points, elle est aussi modeste que moi). Je ne peux qu’acquiescer : c’est de la maid !