On va vraiment vous faire préférer le train

J’adooooore les suhis…
Ah non, pas le bon article.
J’adooooore les tchoutchous.

Pour moi, le train japonais ne relève pas de la technologie mais de la magie. Coke et chemin de fer, même combat : le rail vous emmène dans une autre dimension.

En France, j’avais le malheur d’être rodé à la SNCF pour avoir tout essayé. Tortillard évadé d’une ère antédiluvienne, TGV et surtout ces fameux TER dont on se demande souvent pourquoi on ne les appelle pas juste TR. Express, relève en effet de la pub mensongère, moitié parce qu’ils sont encore loin d’atteindre la vitesse-lumière et moitié parce qu’ils ont une tendance au retard supérieur à celle d’un collégien traîne-la-patte. Sans parler d’une organisation étrange qui vous place une gare TGV dans un champ de betteraves (Haute-Picardie, the twilight zone) ou un système de correspondances qui en fait le moyen de déplacement le plus lent qu’on puisse imaginer (4 h dont 2 h d’attente en gare entre deux trains pour faire 140 bornes…).

Ici, le train, c’est du sérieux.
Evidemment, ombre au tableau, le sérieux se paie et le train est assez cher. Encore que, rapporté au pouvoir d’achat japonais, les prix n’ont rien de délirant. Donner un ordre de tarifs est illusoire et n’aurait pas grand sens vu le nombre de facteurs. Le tarif du billet varie selon la distance, la classe (Green pour la 1ère), le type de train (normal, Shinkansen, Shinkansen Nozomi), la réservation, la période de l’année… Cela étant, pour un trajet donné, une fois les variables connues, la grille tarifaire est à la fois simple et stable.
A l’inverse, en France, on se perd dans la profusion tentaculaire des tarifs : Prem’s, enfant, 12-17, 18-27, 12-25, Seniors, Pro, Loisirs, famille nombreuse, heures pleines/creuses, week-end, cartes, abonnements… et je ne suis qu’au tiers de la liste. S’ajoute une augmentation systématique des tarifs chaque année pour un service qui lui ne s’améliore pas en proportion – la courbe suivrait même la pente inverse vu le taux de satisfaction des usagers en chute libre.

Le touriste qui souhaite voyager sur de longues distances a intérêt à investir dans le JR Pass. Les prix sont là aussi très variables selon la zone du Japon concernée, la classe, la durée du pass, etc. Dans tous les cas, son montant pèse sur le budget d’un séjour au Japon. Ceci dit, on l’amortit très vite  : un aller-retour Narita-Tōkyō-Kyōto le rentabilise, avec en plus la sécurité de pouvoir se déplacer ailleurs, même à l’improviste, sans débourser un sou supplémentaire. Invariablement le JR Pass se retire au Japon (en général, on le fait en débarquant de l’avion à Narita), mais s’achète obligatoirement à l’étranger. A noter qu’il n’est pas valable sur le Nozomi, le TTGV local, mais l’est sur les autres Shinkansen (TGV).
On ne parle généralement que du Shinkansen, mais il ne faut pas oublier que le réseau japonais est loin de s’y limiter. Il compte aussi ses trains locaux, omnibus, trains express plus ou moins rapides et qui s’arrêtent dans plus ou moins de gares.

Tous ces trucs qui font que c’est mieux qu’en France :

  • Rapidité et ponctualité
    Pour parcourir les 500 km entre Kyōto et Tōkyō, il nous faut environ deux heures et demie (2h15 en Nozomi, 2h45 en Hikari ; on ne prend jamais le Kodama qui met 4h). J’ai effectué le trajet un certain nombre de fois, je n’ai subi qu’un retard à cause d’un typhon. J’étais le seul du wagon à sourire quand le conducteur a annoncé à grand renfort d’excuses un retard de deux minutes comme si c’était une catastrophe nationale.
    Selon les années, la moyenne du retard des Shinkansen va de 6 à 18 secondes ! L’ensemble des trains de l’archipel accuse un retard inférieur à UNE minute. L’heure, c’est l’heure et la ponctualité est sacrée !
    En France, on s’enorgueillit que 90% des trains arrivent à l’heure à 5 mn près. Ouaip… Déjà, ça veut dire que 10% des trains sont franchement à la bourre. Et 5 mn, j’appelle pas ça à l’heure. 90% de train pas à l’heure + 10% très en retard, le calcul donne 0% de ponctualité.
    Pour donner une idée du désastre, il existe en France une procédure alambiquée qui permet de se faire rembourser en cas de retard. Là encore, comme on aime bien les cas particuliers, il existe x poids x mesure (affolant…). Surtout, il existe une assurance qui couvre le remboursement des frais liés à l’attente en cas de retard (café, lecture, coke, putes…). Il me revient cette citation de Broken Arrow : “Je ne sais pas ce qui m’effraie le plus : le fait de perdre une bombe atomique ou que ce soit si fréquent qu’on ait déja un nom pour ça.” Si les trains partaient et arrivaient à l’heure, rien ne justifierait cette assurance. Sa seule existence démontre la fréquence des retards. A se taper la tête contre les murs.
  • Organisation et information
    L’organisation est carrée. De la logique des numéros des trains (pair dans un sens, impair dans l’autre) au nombre des voitures en passant par leur position, tout est limpide et surtout immuable. On prend vite ses petites habitudes de vieux et on en vient à pouvoir tout faire les yeux fermés. Tout est indiqué sur l’extérieur des wagons : numéro de train, de voiture, départ, destination, classe, non fumeur, etc. Idem à l’intérieur via écran. Dès l’achat du billet, les voies de départ et d’arrivée sont connues ! Pas besoin d’attendre comme en France un affichage de dernière minute, le nez en l’air au milieu d’une cohue de clampins.
    Les affichages dans les grandes gares sont bilingues anglais/japonais de même que les annonces. Ceci dit, méfiez-vous quand on vous dit que le personnel parle anglais. En effet, à Narita, pas de souci. Dans les petites gares, pas la peine d’espérer tomber sur du personnel anglophone. Ailleurs, c’est très variable, car il y a parler et parler. Baragouiner serait plus juste et le “parler anglais” peut se limiter à quelques notions sans plus. Mais dans tous les cas, le personnel se met en quatre pour vous aider (plaquettes, dépliants, explications en japonais, vague anglais, langue des signes, pointage du doigt sur la carte…). Oui, même si je ne rencontre pas ce problème linguistique, je pense à toi, ô analphabète touriste…
  • Une place pour chacun
    Il y a des espaces prévus pour tout le monde ! Trains familiaux avec des coins pour que les enfants jouent (et tout le reste du train est au calme). Espaces silencieux (pas d’annonce du contrôleur) prévus pour pouvoir se reposer. Emplacements pour téléphoner (on sait se tenir et ne pas déranger tout le monde dans le compartiment en beuglant sa vie pendant deux heures).
  • Grand luxe
    Au rang des aménagements sympas, on compte des sièges pivotants. On peut donc toujours être dans le sens de la marche (même si je n’ai jamais compris pourquoi tout le monde y tient, on n’arrive pas plus vite pour autant) ou organiser des places en vis-à-vis quand on voyage en groupe. Bien que les Japonais soient en moyenne plus petits que les Français, ils disposent de nettement plus d’espace entre les rangées de sièges. Fini les contorsions et les bleus aux genoux, je peux étendre mes guiboles et mon mètre 85 apprécie. L’aménagement standard vaut une 1ère classe en TGV.
    En terme d’accessibilité aux handicapés, l’équipement est largement en avance sur la France. Je me suis longtemps interrogé sur les bandes cloutées incrustées dans le sol : elles servent à guider les aveugles. Portiques, ascenseurs et wagons ont des accès suffisamment larges pour permettre le passage d’un fauteuil roulant ou de Ben Hur. Le dénivelé entre le train et le quai est généralement nul ; au pire, par un tour de passe-passe qui laisse ébahi, un employé peut déployer une rampe d’accès en quelques minutes. En France, faudrait déjà une demi-heure avant de dégotter la personne qui sait peut-être où se trouve ladite rampe si tant est qu’il y en ait une… La situation s’est quand même améliorée récemment dans l’Hexagone avec le renouvellement en cours du parc ferroviaire. M’enfin, y a pas si longtemps, monter un paraplégique dans une voiture Corail relevait du système D avec mise à contribution d’un voyageur pourvu de muscles et de bonne volonté pour filer un coup de main…
    Seul point noir, les bagages. On voyage léger, l’espace prévu pour les valises n’est pas énorme. Et encore, pas une trop grosse valise. Mais les Japonais ont tout prévu ! Pour trimbaler du lourd – n’est-ce pas mesdames aux 3 malles pleines de fringues pour un séjour d’une semaine –, il faut recourir au transport séparé (宅配便, takuhaibin). Y a pas à s’inquiéter, le système est géré à la japonaise : rapide, fiable, peu onéreux. En France, j’hésiterais à confier mes affaires à un tiers sous peine de les voir s’égarer ou arriver trois semaines trop tard. Ici, j’ai testé : suffit de partir avec de la rechange pour une journée, la valise arrive en un seul morceau 24 heures après. Et pas “dans la journée” mais pile à l’heure indiquée en remplissant le formulaire. Magique !
  • Propreté
    Sur les quais, des équipes de nettoyage attendent l’arrivée des trains pour les briquer en un temps record et remettre tous les sièges dans le même sens. Les trains sont d’autant plus propres que les Japonais sont moins sans-gêne à ce niveau que les Français. Quant aux toilettes, elles sont impeccables. On peut y aller sans porter de combinaison NBC et sans se demander quelle collection de germes on va ramener en souvenir.
    Les gares sont à l’avenant : pas de détritus sur les quais ou dans le hall, toilettes propres dans la plupart des cas. Les dégradations d’appareils relèvent du rarissime ; quant aux machines en panne, leur temps de réparation se compte en heures et pas en jours ou mois.
  • Qualité de service inégalée
    Le contrôleur s’incline en entrant et en sortant de wagon, excusez du peu. Pour rendre honneur aux contrôleurs français à bord des trains, je dois avouer n’avoir jamais eu à me plaindre question politesse. Par contre, niveau organisation, c’est pas ça. Pas besoin de courir après le contrôleur japonais, il navigue constamment dans les wagons et finit fatalement par passer devant vous plusieurs fois, idéal si on a un renseignement à demander. Il gère mieux son cheptel : au premier contrôle, il note qui descend où et par la suite ne contrôle plus que les nouveaux venus (ou ceux qui ont oublié de descendre). On peut donc roupiller sans subir cinq contrôles inutiles et autant de réveils impromptus.
    Sur les quais, le personnel de la SNCF devrait suivre un stage au Japon. Le personnel nippon, LUI, est toujours présent, visible, aimable, rapide, compétent. Jamais un qui m’ait dit “chais pas, faut que je demande” ou mieux encore “j’ai pas le temps de vous répondre” (!?!).
  • Les usagers
    Outre ce que j’ai déjà mentionné, on trouve au Japon une autre conception de la file d’attente. Il existe deux types de place dans les trains, réservées et non réservées. Si vous n’avez pas réservé et que vous arrivez à la dernière minute, deux options s’offrent à vous : voyager debout ou attendre le train suivant. En effet, selon votre point de départ et votre destination, il se peut très bien qu’un autre train parte dans les 10, 20, 30 minutes. Auquel cas, vous vous retrouvez premier de la file pour accéder aux places non réservées. En France, le train (et ça vaut aussi bien pour le métro et le tram lillois), c’est limite la lutte entre ceux qui aimeraient bien descendre et ceux qui se ruent pour monter à bord, et au sein de ce deuxième groupe, tout le monde joue des coudes. C’est d’autant plus débile en TGV qu’il n’y a pas urgence, car le train ne risque pas de partir en avance et qu’en plus les places sont réservées… Bref, les Français quoi, qui à force de bonne franquette ne savent plus faire la différence avec l’impolitesse. Au Japon, c’est organisé, déjà : il y a un marquage pour les files. Ceux qui veulent passer sur le quai n’ont donc pas à esquiver un attroupement bovin semi-circulaire à hauteur des portes. Surtout, la file s’organise d’elle-même, en interne, à la japonaise : si vous êtes le premier de la file, vous monterez le premier. Pas de gars qui va essayer de vous gratter la place pendant le temps d’attente, pas de grugueur qui vous coiffera au poteau à la dernière seconde à l’ouverture des portes. Peu importe la taille de la queue, ils savent s’en servir. Le Japon compte bien évidemment son lot d’impolis et de truands, mais ils sont rarissimes.