C’est un pic !… C’est un cap !…

Que dis-je, c’est une montagne de conneries !
Suite de la suite de la suite sur les idées reçues sur le Japon. Aujourd’hui, les idées reçues qui sont vraies ! En bonus, en version comparons avec les idées reçues au Japon sur la France. Dans le détail, je ne sais pas s’il s’agit d’idées reçues communes à tout le Japon au sujet de la France et des Français, mais il s’agit en tout cas de propos entendus au gré de conversations avec mes nouveaux amis sur place.
Dans l’ensemble, la France a sa petite cote d’estime. Ses produits et sa culture sont très populaires, même sa langue qui est une des langues occidentales les plus enseignées (à 10000 km derrière l’anglais, mais bon). Les Français, par contre, c’est autre chose. En tant que touristes, ça va. Mais les professionnels… Comme l’a écrit Moriyama Takashi dans L’Abécédaire du Japon, “les Japonais adorent les Français jusqu’au jour où ils en voient un”.

Les fourmis de la mère Cresson
Formule sympathique qui lui a valu de se faire brûler au Japon (son effigie, pas elle). Le fait est que les Japonais bossent. Beaucoup. Et probablement trop dans l’absolu (si tant est qu’il existe). L’image du Japonais qui se tue au travail est bien connue, au sens figuré comme au sens propre. La mort par excès de travail (過労死, karōshi) est reconnue comme maladie professionnelle au Japon depuis une quarantaine d’années. La dépendance au travail est reconnue au même titre (ワーカーホリック, wākāhorikku, “workaholique”).
Pourquoi ?
1) Ce fanatisme bien nippon. Ben oui, ils n’ont pas inventé le kamikaze pour rien. Fanatique sonnant toujours comme péjoratif, disons que les Japonais font les choses à fond. A fond, en France, c’est le maximum ; ici, le minimum. Et une expression comme “minimum syndical” est bien typique d’un certain dilettantisme français. En terre nippone, on passe vraiment pour des glandeurs, un peu comme l’image que les Français ont des profs. Autrefois, le bushi se dédiait au seigneur, aujourd’hui le salarié se voue à l’entreprise. On revient difficilement sur plusieurs siècles de conditionnement social et culturel (idem le poids qu’a encore la culture judéo-chrétienne en Europe).
2) La culture du travail n’est pas la même. Ici, le travail est encore une valeur forte. En France, les loisirs sont une valeur encore plus forte. Des glandeurs, je vous dis…
3) La pression du groupe joue également. L’image du travailleur français, surtout les fonctionnaires, est celle du type avec un œil sur l’horloge, prêt à dégainer son blouson et à foncer chez lui sitôt que la cloche a sonné. Au Japon, cette attitude est perçue comme une fuite, de la fainéantise, une honte, à la limite une trahison envers vos collègues qui restent et envers l’entreprise. Si les Japonais ont ce côté “troupeau” où chacun suit le mouvement, encore faut-il qu’il y ait quelqu’un pour prendre l’initiative de partir. Et comme personne ne veut quitter son poste le premier sous peine de passer pour une feignasse…
4) Travailler plus pour gagner plus n’est pas qu’un slogan (ici du moins, parce qu’en France, hum…). Vu le nombre de ménages où la mère est au foyer, surtout après la naissance d’un enfant, il faut faire vivre la maisonnée avec un salaire. Et vu ce que coûte des études – qui sont encore un moyen de réussite professionnelle et sociale –, ça fait partie des sacrifices normaux dans une culture où la famille a encore un sens.
5) Serpent qui se mord la queue… A passer un temps plus que conséquent au travail, l’entreprise et les collègues deviennent une seconde famille, voire la première, celle où le salarié se sent parfois plus chez lui qu’à la maison.

Le troupeau
Le groupe prime au Japon. On leur reproche de se comporter comme un troupeau. A côté de ça, on déplore que l’Occident soit trop individualiste, faudrait savoir ce que vous voulez, les gars.
Oui, la notion de groupe est très forte au Japon. L’individu est relégué au second plan, voire est carrément écrasé. C’est bien, pas bien, ça dépend des circonstances et des conséquences.
Les touristes Japonais à l’étranger forment corps et se déplacent agglutinés comme une tortue de légionnaires romains. Ça fait toujours marrer quand ils descendent du bus. En même temps, faut les comprendre : ils sont en terre étrangère, dans un pays dont ils ne parlent pas la langue et qui ne parle pas la leur, encerclés par des individus plus imposants qu’eux (le Japonais se sent souvent gêné face au “géant” vert blanc). Maintenant, prenons des Français à l’étranger… Certes, ça s’égaye occasionnellement à droite à gauche, mais ils finissent toujours par se retrouver. Et il y a une règle systématique qui veut que si deux couples de touristes français se croisent à l’étranger, ils ne se quitteront plus du reste du séjour, trop heureux d’être tombés sur des compatriotes. Ça marche aussi dans le tourisme strictement hexagonal avec des gens de la même ville, du même département ou de la même région. Le groupe, de 2 à n, c’est la sécurité, les Japonais sont loin d’avoir le monopole de la migration en troupeau…
Grosse différence entre Français et Japonais, c’est le moi. Le Français aime se faire remarquer, penser différemment des autres, se sent le roi du monde anticonformiste s’il est le seul du groupe à avoir un avis différent… qu’il défendra bec et ongle avec un fanatisme… très japonais en fait. Au Japon, le consensus est roi, on suit le mouvement de la foule en évitant d’être l’épi qui dépasse et se fera faucher. Prenez dix Japonais, demandez-leur séparément leur avis sur un truc : vous aurez dix réponses. Posez-leur la même question ensemble. Dès lors qu’il y en a un à se lancer pour répondre, les autres seront du même avis et vous aurez une réponse unique.
Notez qu’en tant que prof, c’est très pratique. Déjà, mon statut hiérarchique me donne un pouvoir absolu dans ma classe, parce que la règle, c’est respecter, écouter et obéir au sensei. Et parce que dès qu’il y a un élève pour commencer à faire ce que je dis, les autres l’imitent.

Le mitrailleur
Cas particulier de comportement typiquement japonais (quoique) : le mitraillage photographique. Le cliché (sic) du Japonais avec son appareil photo autour du cou qui prend tout et n’importe quoi est… totalement vraie.

Anecdote perso. Cette photo, je l’ai prise en Normandie, ce que toute personne pas trop conne aura remarqué en reconnaissant le parachutiste accroché au clocher de Sainte-Mère-Eglise. Sur la place de l’église, hors cadre, parce que MOI je ne l’ai pas photographié, un type avait installé une rôtissoire où il faisait cuire des poulets. Un couple de Japonais a pris une vingtaine de photos de ladite rôtissoire ! Genre ZE curiosité locale. J’ai tapé la discute avec eux quelques minutes. Ils venaient d’Hiroshima, avaient visité Paris et le Mont Saint-Michel comme 99% des touristes Japonais. Je dois traîner dans leur album photo au titre d’anecdote comme “le Français avec qui ils ont pu parler japonais au petit matin dans un bled normand”, puisque bien évidemment, j’ai gagné le droit de poser pour leur album souvenir, ainsi que le droit de les mitrailler devant l’église, la rôtissoire, le bistro à côté. Et pas une photo de chaque, c’est 4-5 minimum. Ça tient carrément du trouble obsessionnel compulsif. Mais super sympas et 15 tonnes de remerciements.
Et puis à l’heure des appareils numériques et des téléphones multifonctions, n’étant plus limités par la pellicule, je crois que les Occidentaux rattrapent leur retard pour ce qui est de mitrailler à tout-va comme des forcenés de la gâchette.
Prenez le touriste américain qui braille aussi fort qu’une corne de brume et se promène partout comme en pays conquis… Ou le touriste français qui se plaint toujours que rien n’est écrit en français… Croyez-moi, on est aussi repérables à l’étranger qu’un Japonais ailleurs que chez lui.

Dexter, tiens-toi au code !
Les Japonais sont ultra rigides en ce qui concerne les règles à suivre. Idée reçue qui est tout à fait vraie. En même temps, elle est logique : le principe quand on édicte des règles, c’est pour qu’elles soient suivies. En France, édicter une règle amène systématiquement à penser : comment la contourner ? Les Français voient les règles comme un carcan et une entrave à leur liberté chérie. Pour les Japonais, c’est un facteur d’efficacité et de cohésion. Sans compter qu’il faut beaucoup de règles, notamment de politesse et de conduite, pour faire cohabiter autant de monde sur un si petit archipel, sans quoi la promiscuité tournerait au bain de sang.
Et c’est marrant, parce qu’on l’énonce toujours comme un point négatif alors qu’en pratique, cette manie de se conformer aux règles aboutit à faire du Japon un des pays les plus sûrs en matière de crime. De même, quand un Japonais dit “ce sera fait tel jour, telle heure”, c’est fait à la seconde près : les engagements sont tenus. Pas comme en France, où il y a toujours un retard pour raison X, Y ou Z et toujours sur le dos d’un autre ou de circonstances extérieures “indépendantes de notre volonté veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée”. Ici, les gens sont responsables et n’essaient de se défiler à coups d’excuses moisies plus ou moins crédibles. Les hommes d’affaire japonais qui travaillent avec des professionnels français les considèrent souvent comme des gens sur qui on ne peut pas compter. Pour un Japonais, la parole donnée fait sens et n’a rien d’un propos en l’air. La notion d’honneur veut encore dire quelque chose.
En fait, deux conceptions se font face. Le Japonais planifie, en se basant sur l’existant, et s’adapte au changement avec la souplesse d’un menhir. Les entreprises occidentales ont parfois du mal à imposer leurs idées si aucun précédent n’existe : “personne ne l’a fait avant”… donc on ne va pas s’y risquer tant que ce n’est pas éprouvé. Le Français innove, se lance, réfléchit après et joue ensuite les saltimbanques dans une foire à l’improvisation et au système D. “Ça passe ou ça casse.”
Et hors contexte professionnel, c’est pareil. Les règles sont les règles. J’en ai perdu ma manie de traverser la route quand le feu est rouge pour les piétons. On braque sur vous des yeux revolver moins langoureux mais plus assassins que ceux de Marc Lavoine. Et ça sent limite le lynchage si en plus il y a des enfants à proximité, parce qu’en plus de ne pas suivre la règle, vous donnez le mauvais exemple.
Il y a UN moment où les règles tombent, ou du moins, s’assouplissent : le bistro. Car les règles sont solubles dans l’alcool. Ce qui se passe au bistro reste au bistro, la règle tacite étant que le lendemain tout est oublié (et plus on picole, plus on a de chances d’oublier pour de vrai). Oui, il y a une règle pour gérer l’absence de règles…

Les maniaques de la propreté
Franchement qui va s’en plaindre ? Chez eux, certains Japonais sont parfois très bordéliques, soit parce qu’ils sont effectivement désordonnés de nature, soit parce que les logements miniatures dans des villes comme Tokyo sont remplis avec pas grand-chose. Pour le reste, il y a un exemple à suivre. On pourrait bouffer par terre en pleine rue. Indépendamment des services de voirie, ça vient surtout d’un comportement du citoyen lambda qui ne considère pas l’espace public comme une vaste poubelle que d’autres ont la charge de nettoyer. Tout saloper pour “créer de l’emploi chez les éboueurs” n’est pas la philosophie du coin. Réflexion systématique dans la bouche de mes interlocuteurs qui ont eu l’occasion de visiter la France : c’est sale, dégueu, cracra. Et je suis d’accord avec eux, ayant toujours considéré Lille et Paris comme de vastes dépotoirs.
La notion de propreté est inculquée très jeune, puisque mes élèves ont la charge de nettoyer leur salle de classe. En France, ça passerait sans doute pour de l’esclavagisme. Ici, l’état de l’espace commun est à la charge du groupe, c’est on ne peut plus logique dans le fond.

La France n’est pas épargnée
Comme quoi toutes les idées reçues ne sont pas forcément fausses. Ceci dit, elles sont toujours un peu déformées car partielles et partiales. La gageure est de bien de replacer ces idées reçues dans leur contexte approprié – la culture japonaise – et ne pas oublier que si ça paraît bizarre ou délirant, ce n’est jamais que par rapport à nos normes qui n’ont rien d’universel. C’est bien le problème de l’Occident qui a passé son histoire à coloniser tout le monde et à vouloir s’imposer : se limiter à la comparaison avec ses seuls critères comme si on était le mètre-étalon des valeurs civilisées ou la norme du comportement parfait. Ce qui m’amènera à un futur article sur “les Japonais sont tous des pervers sexuels (ou pas)” sur la base de pratiques comme le kinbaku (ou shibari ou bondage).
En attendant, la France en prend pour son grade d’après des constatations toutes personnelles à travers quelques entretiens pas forcément représentatifs :

  • En tant que touriste, les Japonais vous accueillent bien (souvent très bien même). En général, on vous prend d’abord pour un Américain. Détrompez très vite votre interlocuteur. L’Américain moyen a la délicatesse d’un rouleau-compresseur et n’est pas toujours bien vu, loin de là. Parmi les plus âgés, il est aussi considéré comme le pulvérisateur atomique et l’ancien occupant. Un peu comme certaines personnes âgées qui ont en France un peu de mal avec les Allemands. Testé et certifié : j’ai vu des Japonais “neutres” devenir ouvertement plus souriants sitôt que je leur ai dit que j’étais Français, pas Yankee.
  • Au plan professionnel, les Français sont considérés comme fiers comme des coqs, individualistes, adeptes de l’impro et du système D, glandeurs, irrespectueux de leurs engagements, incapables de suivre les règles, irresponsables, toujours en retard, et passant plus de temps à râler qu’à régler les problèmes. Des branques, des guignols, des glandeurs.
  • Image très “révolutionnaire”, les Japonais pensent que les Français sont fiers de leur pays et de leurs symboles (Marianne, Marseillaise, drapeau, Déclaration des Droits de l’Homme). Allez expliquer à un Japonais que c’est vrai uniquement pendant la Coupe du Monde de foot (et encore, seulement quand on gagne)… que la majeure partie des Français s’en foutent… et que si vous avez le malheur d’être patriote, on vous classe automatiquement facho.
  • La France, c’est d’abord Paris (la Tour Eiffel) et le Mont Saint-Michel. Les Français se nourrissent de baguette, camembert et vin rouge. Sans aller jusqu’à nous imaginer en bas de soie et perruques poudrées, la France garde toujours un côté Lady Oscar. Les Français sont seraient romantiques, élégants, galants, bref des dandys toujours en vacances. Certains Japonais sont d’ailleurs déçus que les Français qu’ils rencontrent soient si franchouillards alors qu’ils les imaginaient comme des spécialistes de l’étiquette, du savoir-vivre et des bonnes manières.