Parler d’un katana, c’est s’engager sur la pente savonneuse des termes techniques. L’arme et son fourreau comptent une petite quarantaine de termes de base, la lame se taillant la part du lion avec quasiment la moitié d’entre eux. Chaque élément possède son petit nom, chaque morceau de machin une ou plusieurs variantes, idem le moindre bout de cordon ou élément décoratif. Le tout peut encore se décliner en fonction de diverses spécificités.
La richesse de ce vocabulaire a le mérite de donner un bon aperçu de la place du sabre dans la culture japonaise. De quoi faire perdre son latin japonais au néophyte… le profane, lui, s’en balance.
Je vais me contenter de parler du tsuba (鍔), c’est-à-dire la garde.
A quoi ça sert ? A plein de choses. Eviter que la main ne glisse de la poignée vers la lame, parce que ce serait franchement ballot de se couper les doigts avec sa propre arme. A l’inverse, le tsuba protège les minimes de la lame adverse. Et concernant l’arme elle-même, c’est un moyen de l’équilibrer et de conserver une certaine stabilité des éléments qui la composent (notamment en bloquant la lame pour éviter qu’elle ne s’enfonce plus que prévu dans la poignée). Bref, le tsuba n’est pas là uniquement pour faire joli. Ceci dit, sa fonction bonus consiste justement à décorer.
Chacun des trois trous visible sur un tsuba a une fonction précise. Le plus gros au milieu, on l’aura deviné, sert à passer la lame (中心穴, nakago ana, càd tout simplement “le trou au centre”). Les deux autres ne sont pas toujours présents. Le kogai hitsu (笄櫃) sert à placer le kogai, un stylet qui est le couteau suisse du samouraï, servant d’outil pour réparer les armures, curer les sabots des chevaux ou même d’épingle à cheveux. Dans le kozuka hitsu (小柄櫃), on glisse le kogatana, une petite lame qui peut aussi bien faire office de couteau de poche que d’arme de jet.
Les premiers tsuba remontent au VIe siècle et se limitent au strict minimum, n’ayant qu’une vocation pratique et ce jusqu’à la fin du XVIe. Ils sont généralement circulaires ou à peu près (avec des variantes carrées, hexagonales…) et forgés dans des alliages de cuivre ou de fer.
Le tatannage continu des guerres féodales connaissant une accalmie à partir du XVIIe s., la fonction décorative va petit à petit prendre le dessus et le tsuba devient un marqueur social parmi d’autres. L’ère Edo est l’âge d’or des tsuba tape-à-l’œil, véritables œuvres d’art destinées à affirmer le rang, le prestige et la richesse de leur possesseur. On va même jusqu’à en fabriquer dans des matériaux inadaptés au combat (bois, ivoire, or, mithril) et montés uniquement lors des événements publics. C’est un peu la Rollex de l’époque.
Comme pour les lames, le business des tsuba verra au long de son histoire l’émergence de nombreuses écoles, chacune avec sa spécialité en fonction du style, de la forme, des matériaux, du plus fonctionnel au plus ouvragé. Certains artistes vont même jusqu’à signer leurs créations.
A noter que si en Occident le terme tsuba ne désigne que les gardes des armes japonaises, au Japon, le terme s’applique de façon générique, incluant les armes occidentales et les armes d’entraînement (bokken, shinaï…).