Suite et fin de l’école japonaise.
Quelques anecdotes (en plus des 25000 autres qui sont déjà dans les 2 chapitres précédents)
J’avoue, j’ai la chance de ne voir que le bon côté du tableau, mon bahut étant très très sélectif en terme de niveau exigé au concours d’entrée et très très très sélectif en termes financiers (faut bien piocher mon salaire de ministre quelque part). Remarquez, quand on parle de la déliquescence du système français, la réalité d’une ZEP à Tourcoing ne doit pas forcément parler à un prof exerçant à La Sorbonne ou à Louis le Grand. Bon ben moi, je suis dans le deuxième cas. Tout il est beau, tout il est rose.
Bref, bahut particulier où je suis moi-même un cas particulier. Je suis LE prof étranger.
(Et accessoirement le futur gendre de mon boss, puisque je suis fiancé à sa fille – qui est également ma collègue. Comme il se trouve toujours quelqu’un pour dire que j’ai été pistonné, histoire de remettre les pendules à l’heure, c’est faux. C’est même plutôt l’inverse. Je ne nie pas que les circonstances m’ont offert une opportunité sur un plateau et ont propulsé mon CV sur le dessus de la pile. Ok, mais rien n’était acquis et il a fallu un peu plus que du népotisme et un malentendu jeanclaudedussien pour conclure. Ledit CV comportait les diplômes, connaissances, compétences et expériences requises, déjà. Et de deux, ça m’a surtout valu 2 entretiens au lieu d’un. Moitié entretien d’embauche formel, et plus informel, un entretien personnel confinant à l’enquête de moralité et visant à déterminer si j’étais un candidat valable pour la chair de sa chair et pas un futur motif de déshonneur. On se sent toujours super à l’aise de passer un entretien en sachant que le gars en face sait que vous tronchez sa fille tous les soirs… La seule à se faire pistonner, c’est Yumiko, par moi, et pas dans un sens professionnel…)
Bref, une superposition de cas particuliers.
Je connaissais déjà par ouï-dire l’essentiel du tableau que j’ai brossé. N’empêche que se retrouver au milieu dudit tableau est autrement plus… moins… ou… Disons que ça fait quelque chose. Bref, partir enseigner le français au Japon, c’est le croisement de deux passions, donc le rêve éveillé, surtout dans les conditions idylliques où j’exerce. Je suis le premier à admettre que j’ai une chance de cocu (et heureusement que je sais que ma dulcinée est une intégriste de la fidélaité dans le couple).
Bonjour le dépaysement, car il a quand même fallu s’adapter. Oui, l’effort de s’adapter à des conditions idéales d’enseignement… Un comble, n’est-ce pas ?…
Le comportement ultra discipliné des élèves, tout prof en rêve. Etant habitué au comportement français, ça choque, même en le sachant. C’est une des deux choses qui m’a le plus, non pas surpris, mais déstabilisé. Dans ce domaine comme en tout, d’ailleurs, les Japonais sont très paradoxaux. Le sens de la hiérarchie est très profondément enraciné. En début de cours, mes élèves sont debout, s’inclinent, “bonjour tout le monde, asseyez-vous”. Idem en fin de cours. La première fois, je peux vous dire que j’ai eu l’impression d’être le maître de l’univers… J’ai un statut quasi impérial face à une classe où la notion d’individu est à peu près nulle. On s’attendrait à une classe d’amibes serviles et amorphes… Même pas ! Tout hiérarchisés qu’ils soient, les rapports sont pourtant assez détendus, le prof-sensei ayant ce côté paternaliste attendu par les élèves (Tortue Géniale, quoi). Et les échanges sont particulièrement dynamiques concernant le contenu du cours, ce qui doit à un intérêt pour l’apprentissage inhérent (enfin inculqué plutôt) aux élèves et pas à mes seules capacités (formidables) de prof (formidable). Mes élèves s’intéressent à fond à ce qu’on fait – et je dis bien “on”, pas juste “je”. Il y a une vraie dynamique de classe prof+élèves qui fonctionne comme un tout.
La seconde, c’est l’enseignement à la japonaise ou du moins les examens à la japonaise. Le fait est qu’ils relèvent essentiellement du bachotage et que le plus gros se claque à coups de QCM. Autant sur la langue, le système peut fonctionner, les règles de base du français étant de toute façon à connaître par cœur. Mais pour les cours de civilisation, les interros relèvent vite du simple contrôle de connaissances et j’ai dû bidouiller pour que la compréhension culturelle de fond fasse partie de mes exigences (ce qui a donc conforté mes collègues dans le poncif Français = adepte du système D).
Les trois quarts de mes journées pourraient faire l’objet d’anecdotes dont certaines assez délirantes.
Les parents qui apportent des gâteaux, par exemple. C’est une pratique courante dans le système des cadeaux à la japonaise. Moitié pour faire plaisir, moitié pour que l’élève soit bien vu (donc mieux noté). En France, ça passe pour de la très péjorative corruption ou un douteux échange de bons procédés. Ici, les “cadeaux”, c’est une institution, pas vraiment désintéressés vu qu’ils impliquent toujours d’équilibrer les comptes. Enfin, ça fait partie des choses délicates avec lesquelles on doit jongler.
Parfois très délicat aussi ou simplement touchant, l’élève qui vient poser une question existentielle. Cf. ce que je disais au sujet des rapports paternalistes où le prof devient un mentor, surtout auprès des élèves qui manquent de repères paternels, soit parce qu’un épisodique papa bosse très tard et sort avec ses collègues encore plus tard, soit parce qu’il n’y a pas de papa du tout (plus de 700000 mères célibataires au Japon). Sans être spécifique au Japon, ça fait partie des expériences inédites pour moi.
Enfin, il y a toutes ces perles que je compile, des quiproquos linguistiques aux clichés les plus hirants sur la France et les Français…
Sotsugyōshiki
Mon meilleur souvenir au bahut, c’est la fin de l’année.
Etant arrivé en janvier, j’ai pu assister à la cérémonie de fin d’année en mars. J’avais eu deux mois pour encaisser le décalage horaire, m’acclimater à mon nouvel environnement, préparer mes cours, etc. Habitant un logement de fonction sur le campus, j’avais eu l’occasion de visiter mon domaine en long, en large et en travers, rencontrer les profs, des élèves et le personnel administratif. J’ai donc pu m’habituer à l’ambiance et prendre la température (au sens figuré, je ne me promène pas avec un thermomètre), avec à l’époque le statut bâtard de gros touriste et futur prof.
Arrive donc la fin de l’année. Au Japon, elle est marquée par le Sotsugyōshiki (卒業式) qui se déroule en grande pompe (au sens figuré aussi, on n’y va pas en chaussures de clown). A l’université, c’est la cérémonie de remise des diplômes dans cette tenue américaine ridicule en robe et bonnet carré. Dans mon bahut, on a une certaine idées de la classe (jeu de mot involontaire), les filles viennent en kimono hors de prix et apprêtées avec un soin digne d’un mariage, les garçons en costard. Les parents sont là aussi sur leur trente et un. Etant en minorité ethnique, je me suis évidemment fait remarquer, d’autant que ma cavalière était resplendissante dans son kimono où si tu fais un accroc tu dis adieu à ta tête.
S’ensuit un long cérémonial, pas chiant heureusement. Le big boss fait son discours, les profs font leur discours – j’en étais dispensé, mais je n’y couperai pas dans quelques mois. Les élèves viennent pousser la chansonnette (hymne national, hymne de l’école). Yumi a refusé que j’aille chanter “c’est nous les Faidherbards, troulalère, troulala”, j’ignore pourquoi. Les parents se voient remettre une lettre écrite par leur progéniture, les profs reçoivent des billets doux de leurs classes, les charmantes têtes blondes brunes y exprimant leur reconnaissance. Ensuite vient le défilé où l’équivalent local du PP (prof principal… je parle comme un prof maintenant) remet l’album de l’année scolaire. C’est comme l’album du lycée dans les séries américaines. Chacun va le faire signer à tout le monde et c’est la grande chasse aux autographes. Chacun prend tout le monde en photo (V) et se fait prendre en photo (V) et le cliché de l’Asiatique aux doigts en V devient réalité. C’est limite un réflexe pavlovien dès qu’on sort un appareil photo. Tout le monde est content vu que ce sont les vacances et que personne ne redouble. Sourires, visages épanouis, ne manquent que les violons. C’est sympa et bonne ambiance même pour un agoraphobe misanthrope comme moi.
N’étant ni prof ni élève ni parent ni Japonais, je faisais un peu figure de pièce rapportée et j’étais là uniquement en spectateur. C’est du moins ce que je croyais. Déjà, des gamins que je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam venaient se faire prendre en photo avec moi. Oui, c’est ça le prestige du missié Blanc venu apporter la lumière civilisatrice et colonisatrice. Ou plus sérieusement, c’est un peu comme faire une photo avec Mickey à Disneyland. Et Mickey, la touche exotique, c’était moi… Bon, je me prête au jeu de bonne grâce, après tout, ça flatte mon ego d’être une bête de foire un objet d’attention.
Sur ces entrefaits, une fois achevée partie où tout le monde défile sur l’estrade et avant le banquet de clôture, je me fais alpaguer par mon honorable prédécesseur, qui part en retraite et dont Yumi et moi récupérons l’effectif francisant. Je n’ai pas trop capté comment il a pu récupérer l’essentiel de ses ouailles dispersées de tous les côtés, mais il l’a fait !
Direction la salle de français à la tête d’une improbable Compagnie de l’Anneau de 15 à 65 ans, en uniforme, kimono, costard-cravate… (Musique de la 4e dimension.)
Petite fiesta des francisants pour le départ de leur prof et l’arrivée de ses remplaçants. Yumi et moi étions les seuls à ne pas avoir été briefés et les seuls à qui on disait bonjour pendant que tout le monde se disait au revoir. C’est concept…
Bon, ce n’était pas Les dieux sont tombés sur la tête non plus, il n’est pas rare de croiser des fromages blancs dans Kyōto. Mais j’étais quand même leur premier prof étranger. J’ai eu peur qu’on me pince pour vérifier que j’existais pour de vrai. De ce fait, c’était assez marrant, parce que je n’avais pas encore l’auréole flamboyante de prof, mais j’allais l’avoir. Et on sentait que certains ne savaient pas trop comment réagir devant un statut hiérachique indéfini, LE truc à déstabiliser un Nippon. Sans compter qu’avec mon 1,85 m de haut, je les écrasai d’une à trois têtes. Dans le fond, c’étaient jamais que des gosses, ils réagi en tant que tels sans faire de chichis. Tel Brad et Angelina, Yumi et moi avons eu droit à de multiples doigts en V, séances photo, doigts en V, demandes d’autographes, doigts en V, bain de foule et doigts en V. Peut-être ai-je oublié de mentionner cette manie qu’ils ont de mettre leurs doigts en V sur 99% des photos.
(D’ailleurs, pour gagner à tous les coups à pierre-feuille-ciseaux, vous sortez un appareil photo et ensuite vous jouez pierre.)
Au rang des multiples gags culturels…
Déjà, sur trois banderoles ou affiches avec écrit “bienvenue monsieur Moi”, j’ai constaté trois transcriptions différentes de mon patronyme. Ouaip, sans avoir un blase d’une complexité polonaise, faut avouer à leur décharge qu’on peut rêver plus simple à transcrire, certaines lettres, syllabes et sonorités de mon nom étant inexistantes en tant telles en katakana.
Ensuite la salle avait été décorée “à la française”. Et là je me suis dit que j’allais avoir du taf. Paris, Tour Eiffel, Mont Saint-Michel, une vraie brochure sur l’idée (simpliste voire simplette) que les Japonais ont de la France, avec en bonus le beffroi de Lille (en photo, pas en vrai). Le tout dans une débauche de couleurs flashy avec le goût esthétique d’un enfant de maternelle. Sauf que le plus gros était fait par les lycéens… Par chance, je connaissais la musique, moitié parce que j’étais (é)rôdé par deux mois de cérémonies d’accueil diverses et variées, moitié parce que Yumi m’avait briefé sur les “accueils culturels” à la japonaise qui sont d’abord symboliques. J’ai donc évité la gaffe de demander s’il y avait un niveau primaire qui s’était chargé de la déco. L’idée était de marquer le coup, de faire plaisir et de bien faire, pas de monter une expo digne d’un doctorat culture et beaux-arts. Comme on dit, c’est l’intention qui compte. Et vaut mieux le savoir, sans quoi on passe complètement à côté de ce qui est finalement un cadeau simple mais offert de bon cœur. C’est marrant, parce que je me souviens avoir participé en France à des expos similaires pour recevoir des étrangers et le mot d’ordre prétentieux était de “leur en mettre plein la vue” et de “leur montrer à quel point on connaît leur pays”, genre comme si on allait leur apprendre quelque chose de leur propre culture… Ici, ça ne volait peut-être pas haut, mais au moins ça ne pétait pas plus haut que son cul, et je préfère.
On a même eu droit à un mot des élèves. On n’avait pas encore donné un cours que déjà ils nous remerciaient de l’enseignement qu’on allait leur offrir à partir de la rentrée !