Vogue la galère

Ma galère à moi vogue parmi les phrases bateau dans l’océan des idées reçues.

Victime, le Japon l’est des préjugés et idées reçues.
Souligner les différences culturelles Orient-Occident est tellement bateau aussi que je ne vais pas m’apesantir sur le sujet. Chacun vit dans une civilisation supérieure à celle du voisin. Le Japon n’y fait pas exception, c’est juste plus discret ou en tout cas moins connu que le cas occidental qui a imposé ou tenté d’imposer son (ses) modèle(s) à coups de colonies, Panzer, Coca-McDo, bombardements d’idées démocratiques (souvent avec de vraies bombes made in USA mais je ne vise personne). Bref, “de tout temps”, on s’est fait des idées sur l’autre, étranger et différent, pas toujours compréhensible – et encore faut-il essayer de le comprendre, ce qui ne va pas de soi non plus, l’Histoire le prouve assez.
Les idées reçues sur l’Orient n’ont pas tellement changé depuis l’Antiquité, qu’on lise les récits de l’épopée d’Alexandre le Grand, de Marco Polo ou des grands explorateurs depuis le XVIe s. Et quand bien même des cohortes d’universitaires ont démontré les erreurs, approximations, inventions des Anciens, rien n’y fait. Les “mystères de l’Orient” gardent intact leur pouvoir de fascination… et leur mystère.
Il faut bien avouer aussi qu’on a fait ce qu’il fallait pour continuer à les propager même en plein XXe siècle. Il suffit de regarder l’image du Japonais renvoyée par les Etats-Unis il y a quelques décennies. Vous me direz, en pleine guerre, on n’est pas là pour faire dans la dentelle. Et c’est vrai. La propagande, par définition, n’a pas pour vocation l’exactitude ou la vérité (si tant est que cette dernière existe). Sauf que, par définition, la propagande est conçue pour marquer les esprits et que les traces perdurent de nos jours.
Entre fascination et propagande se case l’idéalisme. Certains passionnés de culture japonaise ont une vision carrément déformée, partielle, partiale, romantique, etc. Rayez les mentions inutiles. Pas évident de faire la part des choses, le fait est (moi-même parfois…). Regarder le Japon à travers le prisme déformant de l’idéalisme est une chose. En parler comme si c’était la réalité en est une autre. Je ne compte plus, je n’ai jamais compté en fait, le nombre de propos comme quoi tout il est parfait au Japon. Euh non. Le penser est une erreur, le dire est une erreur², le proclamer sans y avoir jamais mis les pieds est une erreur puissance n où n est un entier compris entre beaucoup et trop. On passe tous par-là au début – je repense avec nostalgie et indulgence à mes premières nippones remplies exclusivement de samouraïs –, mais après faut grandir un peu. Le Japon d’aujourd’hui n’est plus celui des bushi et pas celui des mangas (cf. un paragraphe là-dedans). et j’ai toujours envie de sortir mon katana quand je lis des “vérités absolues” énoncées par des gens qui n’ont jamais bougé de chez eux, n’ont jamais rencontré un Japonais, ne connaissent la langue qu’à travers les transcriptions en romaji et la culture sous le biais d’UN aspect (manga, J-pop, époque féodale…).
Les médias ne sont pas en reste qui font un tout cela, véhiculant un nombre effarant de conneries à une échelle XXL. Pourquoi se casser le cul quand on peut se contenter de servir la tambouille toute prête attendue par le public ? Faudrait surtout pas bousculer les gens dans leurs petites habitudes de pensée et sortir des images d’Epinal. Procédé facile qui évite d’approfondir. En plus, c’est carrément trop chiant d’aller chercher l’info à la source en VO dans une langue improbable alors qu’on peut se contenter de la repiquer sur un site d’info en anglais qui l’a lui-même repompé ailleurs, etc. Quand on sait que toute info est déformée à chaque transmission (hors copier/coller, ce qui n’est pas mieux en terme d’honnêteté intellectuelle), le résultat à l’arrivée vaut ce qu’il vaut : nèfles, peanuts, pas tripette, que dalle, nib, peau de balle. Ce n’est pourtant pas la documentation qui manque et la barrière de la langue est un faux argument.

Pas seulement victime mais coupable aussi, le Japon.
Le Japon, c’est cool. Tellement qu’est née l’expression Kūru Japan (クールジャパン) ou Cool Japan, liée à l’émergence du Japon en tant que superpuissance culturelle. L’expression date du début des années 2000 et fait référence à la Cool Britannia des années 90. L’exportation de la culture japonaise ne date ni de cette période ni d’hier : du japonisme fin XIXe aux dessins animés de mon enfance (Goldorak, Albator…) dans les années 70-80, les exemples ne manquent pas. Ceci étant, les années 1990-2000 marquent une explosion et la culture japonaise se répand façon puzzle. Mangas, animes, J-Pop, jeux vidéo, arts martiaux, gastronomie, ameublement, mode… tout y passe… ou presque.
L’image du Japon s’en trouve biaisée. Ce n’est pas toute sa culture qui s’exporte mais certains aspects seulement. Et souvent à travers la fiction (mangas, animation). Les généralisations à partir de bases aussi partielles s’avèrent donc aussi solides que les fondations de la tour de Pise. D’autant plus qu’au sein de ces domaines déjà partiels n’est exportée que la partie émergée de l’iceberg. On s’extasie par exemple devant tel ou tel manga génial/original/prenant/bien dessiné/autre. Sauf que pour 1 manga valable qui sort en France, il en sort 10, 100, 1000 moisis sur place. S’en tenir là reviendrait à juger de la production viticole française à partir des 10 meilleurs crus exportés en faisant abstraction de la piquette.
Sans compter qu’en plus des impératifs privés, l’Etat s’est impliqué dans le mouvement Cool Japan au point de repiquer l’expression et de mettre sur pied un cabinet spécial destiné à la promotion de la culture nippone, pas tant pour le côté culturel d’ailleurs que pour le versant financier destiné à lutter contre la crise. Forcément, si Onīsan / Big Brother s’y colle, l’initiative présente aussi un aspect “vitrine” tout ce qu’il y a de plus partisan.

Les images estampes d’Epinal ont donc encore de beaux jours devant elles.