Je suis tombé par hasard sur une page qui m’a donné envie de me greffer des bras pour sortir tous mes sabres – j’en ai 6. Une page au pif, donc ; quant à savoir si elle est représentative, aucune idée. J’espère que non, mais je crois bien que si.
Que conclure de cette accroche ? Fan du Japon, c’est lire des mangas, mater des animes, écouter de la J-pop, rêver à la technologie nippone. Pourquoi pas, sauf que ça s’appelle “fan du Japon contemporain” ou fan du cool Japan. Pour les 12 ignares du fond, les 28 au milieu et les 9 du premier rang, le cool Japan recouvre tous ces trucs trop de la balle que le Japon exporte massivement et délibérément pour promouvoir une certaine image. Dans la langue de Mishima, on l’appelle クールジャパン (Kūru Japan, transcription de l’anglais), concept qui remonte à 2002 et dans lequel le gouvernement a vite mis le nez. Au point que le Ministère de l’Economie a même créé en 2010 un bureau d’études sur la question, chargée de la promotion officielle aussi bien au sein de l’appareil d’Etat qu’auprès du secteur privé.
En vertu de l’axiome qui veut que la quantité plombe toujours la qualité, faut bien reconnaître que dans le lot, les merdes abondent. Ce n’est pas parce qu’un truc vient du Japon que c’est forcément bien. Marrant de voir au XXIe s. se reproduire le même schéma qu’après la Seconde Guerre Mondiale avec les produits américains super cools, tous, toujours, forcément. J’émettrais quelques réserves sur les limites du modèle consumériste, l’impact de la gastronomie MacDo-Coca, les envolées intellectuelles de la télé-réalité, mais bon…
Bref, déjà, “l’article” à peine de parti pris. Et que dire de la photo ?… J’en conclus que les Japonaises ont le teint nordique, gardent un visage juvénile dépourvu de rides même quand leurs cheveux blanchissent sous le harnois de la vie, n’ont pas les yeux bridés mais rouges, et s’habillent de velours et de dentelle. Navrant…
Un coup de Photoshop et hop, j’arrive à ceci :
L’extrême inverse, tout aussi partiel et partial. Si ce n’est que ma version accouchera d’une génération d’intellos et pas de consommateurs mollusques avachis devant leur télé ou incapables de lire plus de trois mots dans une bulle.
“Etre fan de” – déjà, l’expression est débile, mais passons –, c’est pas se contenter de 10 trucs et de faire comme si les 90 autres n’existaient pas. Faut s’intéresser à tout. Et je vous arrête tout de suite, je n’ai pas dit “adhérer à tout”, “tout aimer”, “tomber en adoration béate devant la mention made in Japan”.
T’aimes les mangas ? Content pour toi, mon gars. Moi, non. Mais j’en ai lu, justement pour savoir si j’accrochais ou pas, et parce que c’est un pan conséquent de la culture contemporaine nippone. Tu t’en contentes ? Ben t’es con, tu passes à côté de ton bouquin. La littérature manga abonde en références. A des personnages historiques ou mythiques : comment tu veux y biter quelque chose si tu connais que dalle de l’Histoire ou du corpus de légendes ? A la vie quotidienne : comment tu peux les comprendre vraiment si tu n’as aucune notion des usages, de la mentalité ou du mode de vie ? Et je pourrais continuer longtemps…
Un dernier mot sur la technologie. Le Japon n’est pas une espèce d’Atlantide moderne surévoluée et en avance de 50 ans sur le reste du monde. La super technologie dont on entend parler est surtout celle présentée dans les salons, càd celle qui fait rêver ou qui pousse à s’exclamer “ils sont fous ces Japs !”. Le plus gros relève de la recherche expérimentale, au mieux du prototype encore loin de l’application grand public. Chez moi, y a pas de soubrette-droïde capable de se téléporter de la cuisine pour m’apporter un café pondu par un synthétiseur moléculaire. Au mieux, ma femme – une humaine normale sans implants de cyborg – fait le service ; au pire, je dois bouger mon cul jusqu’à notre très classique cafetière, vu que mon fauteuil ne lévite pas grâce à un système anti-grav.
Maintenant, plat de résistance, les commentaires… Je m’abstiendrai de toute remarque sur la déliquescence orthographique des “jeunes de maintenant” pour éviter de passer pour un vieux con. N’empêche que de mon temps, le dernier de la classe écrivait mieux.Autant je maudis l’auteur pour son article qui n’en est pas, autant je le plains pour réussir à pondre quelque chose qui se tienne sur les bases des âneries que ses lecteurs lui servent. J’en retiens qu’on est fan du Japon si on lit des mangas en écoutant de la J-pop, comme annoncé dans l’accroche. La technologie du XXXIIe s. plaît plus ou moins, les sushis moyen. Un seul a eu l’idée de brancher brièvement son cerveau pour parler des jeux vidéos, tandis que les autres se sont contentés de suivre au pied de la lettre les exemples cités par l’auteur. A une ou deux exceptions près, la culture nippone ne se résume qu’à ces aspects. Cinq occurrences du mot “tradition” si j’ai bien compté, mais aucun exemple d’une en particulier qui ait marqué quelqu’un. Les uniformes d’écolières en ont frappé plus d’un(e). Croyez-moi, les jeunes, on en revient – sauf quand ma femme ressort son uniforme du lycée, mais je ne vais pas m’embarquer dans les détails scabreux.
Morceaux choisis-moisis ou pot pourri qui n’aura jamais si bien porté son nom :
Consternant… Je me demande comment on peut encore croire et débiter des conneries pareilles de nos jours. C’est comme si un fan de culture américaine (sic) croyait qu’aux Etats-Unis les rues sont pavées d’or, que les habitants se déplacent à cheval ou en train à vapeur, portent tous des Colts (oui, bon, ça…) et des stetsons et vivent dans la crainte d’une attaque d’Indiens lorsqu’ils rentrent de leur boulot dans un studio d’Hollywood.
Non mais non quoi !!!