Tel le monde et ses gens qui creusent ou possèdent des pistolets chargés, la bonne vieille frise chronologique se découpe en deux : la Préhistoire et l’Histoire proprement dite, traditionnellement séparées par l’invention de l’écriture. Entre les deux se glissse la languette de la Protohistoire pour les cultures qui ne posèdent pas l’écriture mais au sujet desquelles les voisins noircissent du papier (ou l’équivalent de l’époque). Preuve que, de tout temps, personne n’a jamais été fichu de ne s’occuper que de ses propres affaires.
A son tour, l’Histoire se divise en 4 périodes, antique, médiévale, moderne, contemporaine. Les dates butoir retenues sont connues de tous (du moins, je l’espère) : 476 (chute de Rome), 1453 (chute de Constantinople) ou 1492 (fin de la Reconquista et découverte des Amériques), 1789 (Révolution française).
Evidemment, elles sont sujet à débat depuis le jour où elles ont été fixées. D’abord parce que les historiens aiment pinailler, ensuite parce qu’elles sont très relatives. Les choses ne changent pas du jour au lendemain dès lors qu’on franchit la date de péremption d’une période. Rome ne s’est par exemple ni bâtie ni détruite en un jour et la romanité a survécu assez longtemps pour que la période Ve-IXe s oscille entre l’Antiquité tardive ou le Haut Moyen Age. Le concept de mise à jour automatique étant inconnu en histoire, les choses ne changent pas non plus partout au même moment et les histoires nationales retiennent des dates légèrement décalées par rapport au découpage canonique (révolution de 1776 plutôt que 1789 aux Etats-Unis par exemple).
Le gros défaut, révélateur de la mentalité occidentale, est que ce découpage ne vaut que pour l’Europe, habituée à péter que plus haut que son cul. On y cherche vainement mention des autres continents, sauf en cas de conquête, autre grande manie européenne. Parce que si le découpage en 4 périodes peut s’appliquer ailleurs, et encore pas partout, les dates deviennent hautement fantaisistes dès lors qu’on succombe aux sirènes de l’Histoire Universelle qui est, il faut bien le dire, une pure chimère. Essayez de faire une belle frise proprement découpée à l’échelle du globe, vous m’en direz des nouvelles…
Le Japon en est un parfait exemple. Notez que le cas japonais constitue tout autant un parfait contre-exemple pour la même raison. En effet, son isolement, plus ou moins relatif selon les époques, le dote d’une histoire strictement locale pour une grande partie. Sa marginalité géographique, couplée à l’isolement volontaire de certaines périodes, ne peut que le placer à part. Le découpage de l’histoire du Japon ne répond donc qu’à des impératifs propres à l’archipel. Qui plus est, ce découpage s’inspire de l’historiographie allemande et anglo-saxonne plutôt que française, cette dernière étant très critiquée sur sa manière de considérer l’histoire récente. Les périodes modernes et contemporaines s’organisent donc différemment, le caractère contemporain se limitant à ce qui l’est réellement (les 70-80 dernières années) et le moderne s’étirant jusqu’au XXe siècle. Pour l’Asie, 1945 est considéré comme le début de la période contemporaine, donc très loin du 1789 classique.
A noter également que, si les dates retenues par les historiens sont les mêmes, les chronologies appliquées au Japon varient dans leur dénomination entre le Japon et l’Occident (qui n’en fait comme d’habitude qu’à sa tête sans tenir compte des “indigènes”, quantité négligeable).
Pour la terminologie, on utilise un composé de 代 ou 世 selon les cas pour les périodes majeures, de l’antique à la contemporaine. On divise ensuite en “périodes” ou “époques” (時代), subdivisées en “ères” (時代 aussi), lesquelles se resubdivisent ou se confondent avec les ères impériales (ou 元号一覧 ou 元号 en abrégé).
Vu que c’est très clair presenté de cette façon, petit exemple. Actuellement, nous sommes historiquement pendant la période contemporaine (現代) et politiquement sous l’ère Heisei (平成時代), qui ne désigne que le règne spécifique d’Akihito depuis 1989. On notera la coïncidence de nom avec par exemple la période Edo (江戸時代) qui couvre plus d’un siècle et demi. L’ère Heisei (平成時代), donc, est une ère (元号) du calendrier japonais (un sens spécifique et un sens général, quoi, si ce n’est que la traduction est identique). Pour faciliter les choses, si depuis Meiji, les dénominations des ères coïncident avec le nom posthume de l’Empereur et se limitent à une seule, il n’en était pas de même avant. Par exemple, sous le règne de Kōmei (1846-1867), on compte pas moins de 7 ères [Kōka (弘化), Kaei (嘉永), Ansei (安政), Man’en (万延), Bunkyū (文久), Genji (元治), Keiō (慶応)] dont aucune à son nom de naissance, de règne ou posthume, puisque là aussi, les choses se compliquent avec la manie nippone de changer de nom au cours de sa vie.
Si vous aimez les défis, apprenez la liste complète (ici ou là).
Pour plus de facilité, on s’en tient désormais à “un règne, une ère” (一世一元). A noter que le système n’a rien d’un gadget archaïque, il est encore utilisé, notamment dans l’administration.
Si l’ensemble n’apparaît pas simple de prime abord à côté de notre système bien stable et bien carré de divisions du temps historique par siècle, il ne diffère fondamentalement en rien de notre façon de découper l’histoire par règne successif de tel ou tel monarque. La seule différence, mais de taille, réside dans le système de datation, puisqu’à chaque changement d’ère, on recommence à compter les années à partir de 1 au lieu de continuer sur la lancée comme dans le calendrier grégorien… qui a quand même lui aussi remis les compteurs à zéro ou plutôt 1 avec la naissance du Christ, le principe est le même, juste plus fréquent au Japon. Et quand on voit le parcours d’un Bonaparte (Consulat, Consulat à vie, Empire, Cent-Jours), on n’est pas si éloigné des subdivisions en ères en-veux-tu en-voilà et des tombereaux de dates associées à retenir. En pratique, on s’y fait vite, c’est surtout pour une question de traduction ou de variation entre le français et le japonais dans l’emplois de termes.
L’Histoire du Japon (日本の歴史)
L’histoire japonaise, traditionnellement, se base sur une succession de périodes fondées sur un trait culturel pour les plus anciennes (poterie Jōmon, tertres Kofun) ou politique pour une majeure partie d’entre elles (centre du pouvoir à Nara, Heian, Edo ou nom de l’Empereur comme Meiji et Showa par exemple).
Les distinctions selon les périodes “classiques” (antique, médiévale, moderne, contemporaine) sont nettement moins usitées… sauf hors du Japon. C’est aussi bien. Le classement s’en trouve facilité… sauf hors du Japon.
Par exemple, la période Edo se trouve parfois seule comme époque moderne “à la française” ou rattachée à la médiévale dans une vaste période féodale. En pratique, les Japonais ont deux périodes modernes, Kinsei (近世) et Kindai (近代). Comme c’est “moderne”, on peut difficilement accoler à la première le qualificatif de “primitive” ou “ancienne” comme pour certains âges ; “haut” ne fonctionne que pour Haute Antiquité ou Haut Moyen Age, pas avec l’adjectif ; les numéros (moderne 1, moderne 2) traduisent un manque flagrant d’inspiration ; l’anglais early irait très bien sauf que ce n’est pas du français ; “pré-moderne” sonne comme anachronique puisque l’époque est bel et bien moderne. Restait éventuellement la solution de parler de “moderne”, “récent” et “contemporain”, sauf que les concepts sont relatifs (déjà, rien que pour l’histoire de France, j’ai du mal à mettre “XVIe” et “moderne” dans la même phrase…). J’ai donc étiré le sens et retenu… vous le verrez bien en temps utile.
I – Préhistoire et protohistoire
- Paléolithique (旧石器時代, Kyūsekki jidai) : entre -100000 et -30000 à -12000
- Période Jōmon (縄文時代, Jōmon jidai) : -13000 à -300
– Jōmon naissant (草創期) : -13000 à -10000
– Jōmon primitif (早期) : -10000 à -6000
– Jōmon ancien (前期) : -6000 à -5000
– Jōmon moyen (中期) : -5000 à -4000
– Jōmon tardif (後期) : -1500 à -1000
– Jōmon final (晩期) : -1000 à -300 - Période Yayoi (弥生時代, Yayoi jidai) : IIIe s. av. JC au IIIe s. ap.
– Yayoi primitif (早期) : -400 à -300
– Yayoi ancien (前期) : -300 à -200
– Yaoi moyen (中期) : -200 à 50
– Yayoi tardif (後期) : 50 à 200
– Yayoi final (終末) : 200 à 300
Dates approximatives et variables selon les régions du Japon.
II – Antiquité (古代, Kodai)
- Période Yamato (大和時代, Yamato jidai) : env. 250 à 710 (périodisation de moins en moins usitée)
– Période Kofun (古墳時代, Kofun jidai) : milieu IIIe s. à fin VIIe s.
– Période Asuka (飛鳥時代, Asuka jidai) : VIe s. à 710 (comme limite de début, la date de l’introduction du bouddhisme en 538 ou 552 est souvent retenue) - Période de Nara (奈良時代, Nara jidai) : 710 à 794
- Période de Heian (平安時代, Heian jidai) : 794 à 1185 (ou 1192)
III – Moyen Age (中世, Chūsei)
- Période Kamakura (鎌倉時代, Kamakura jidai) : 1185 à 1333
- Période Muromachi (室町時代, Muromachi jidai) : 1336 à 1573
– Restauration de Kenmu (建武の新政, Kenmu no Shinsei) : 1333 à 1336
– Epoque Nanbokuchō ou “des cours Nord et Sud” (南北朝時代, Nanbokuchō jidai): 1336 à 1392
– Epoque Sengoku (戦国時代, Sengoku jidai) : 1493 à 1573 - Période Azuchi Momoyama (安土桃山時代, Azuchi Momoyama jidai) : 1573 à 1603
Si on retient la notion de “période féodale”, il faut inclure la période Edo, la féodalité perdurant jusqu’au XIXe s. Si ce n’est qu’au Japon, la période Edo est considérée comme moderne, pas médiévale.
IV – Epoque moderne (近世, Kinsei) féodale
Période Edo (江戸時代, Edo jidai) : 1603 à 1868
V – Epoque moderne (近代, Kindai) impériale
- Ere Meiji (明治時代, Meiji jidai, litt. “gouvernement éclairé”) : 1868 à 1912
- Ere Taishō (大正時代, Taishō jidai, litt. “grande justice”) : 1912 à 1926
- Ere Shōwa, début (昭和時代, Shōwa jidai, litt. “paix éclairée”) : 1926 à 1945
VI – Epoque contemporaine (現代, Gendai)
- Ere Shōwa, suite et fin : 1945 à 1989
- Ere Heisei (平成時代, Heisei jidai, litt. “accomplissement de la paix”) : 1989 à nos jours