Mon bras droit aurait tendance à démontrer le contraire. Joli camaïeu de marbrures bleues, jaunes, verdâtres et violacées suite à un coup de shinaï malencontreux qui a ripé sur une partie non protégée. Les joies du sport…
L’occasion de parler du Taiiku no hi (体育の日) qui a eu lieu la semaine dernière (lundi 8 pour être précis). L’origine de cette journée dédiée au sport – et par contrecoup à la santé – remonte au 10 octobre 1966 et fait suite aux JO qui s’étaient tenus deux ans plus tôt à Tōkyō. Depuis l’an 2000, la date fixe est devenue mobile sur le deuxième lundi d’octobre. C’est une des rares fêtes qui soit à la fois récente, sans lien avec l’Histoire, l’Etat, la religion ou une tradition immémoriale, et pas repompée sur l’Occident.
Normalement, la journée est fériée. Pour les profs, c’est en réalité un piège à con. En effet, beaucoup d’établissements scolaires, dont le mien, en profitent pour organiser des rencontres sportives. Chez nous comme dans beaucoup d’autres écoles, l’événement s’appelle de façon fort peu originale Taiiku matsuri (体育祭). Cela dit, surveiller des élèves nippons est autrement moins sportif pour un prof qu’avec leurs homologues français.
Au cours de cette kermesse, nos élèves se livrent à diverses épreuves plus crevantes les unes que les autres, ce qui a le mérite de les coller sur les rotules à la fin de la journée. On trouve les classiques courses sur toutes les distances imaginables et tout un un tas d’autres pratiques aussi crétines comme le saut. Jamais compris l’intérêt de courir comme un perdu vers une ligne arbitraire ou de vouloir sauter très très haut ou très très loin… Bref…
Là-dessus viennent se greffer quelques activités farfelues comme la course à trois pattes, la charge de cavalerie, la grosse baballe ou les petites bouboules. Dans la première, les coureurs s’affrontent par couples, attachés par une guibole (二人三脚, nininsankyaku ; litt. “deux personnes, trois pieds”). Dans la seconde, un gus se juche sur les épaules d’un autre, et hop, le binôme forme un cavalier qui doit attraper la casquette de l’adversaire (騎馬戦, kibasen). Dans la troisième, qui n’est pas sans rappeler Indiana Jones, il s’agit de pousser un énorme ballon (大玉ころがし, odama korogashi). Dans la dernière, une équipe doit lancer un maximum de balles en un temps limité dans un panier en hauteur – comme au basket, sauf que le filet dispose d’un fond (玉入れ, tama-ire, qui n’est pas un festival de “ta mère”). Le classique tir à la corde est également très en vogue.
Les parents sont également de la fête pour admirer les exploits de leur progéniture… et s’occuper de la gamelle. A l’heure du midi, la “zone olympique” se transforme en vaste aire de pique-nique, car pendant que vous vous caillez les miches avec vos 15° en France, nous on pavane encore en tenue estivale avec 25. Lors de cette pause casse-croûte, on a droit à quelques numéros de chant et de danse.
Bien que connaissant la motivation sans faille de mes ouailles depuis quelques mois maintenant, j’avoue avoir été quelque peu dubitatif sur l’idée de faire venir des élèves un jour férié, chose impensable en France quand on sait déjà le mal qu’il y a à les tirer du lit vers les bancs de l’école en temps normal. Ici, non, c’est même tout le contraire.
D’une part, même s’ils abordent les épreuves avec sérieux et se donnent vraiment à fond, c’est l’occasion pour les élèves de s’amuser et vu la pression qu’ils ont sur les épaules à longueur de scolarité, c’est toujours bon à prendre. Ensuite, le sport n’est pas considéré au Japon de la même façon qu’en France, où il relève surtout des activités extrascolaires et fait figure, au sein des établissements, de matière pauvre car pas intello, voire carrément de plage horaire de glandouille type Club Med.
L’événement est donc attendu avec impatience et une certaine candeur sportive qui n’est pas sans rappeler l’idéal agonistique des premières olympiades (celles de la Grèce antique, pas la parodie contemporaine). En ce qui concerne les épreuves individuelles, c’est l’occasion de briller en solo et de se démarquer du groupe, chose assez rare au Japon pour qu’on le souligne. Cela dit, on est au Japon, donc les résultats sont rapportés à l’ensemble d’une classe… avec laquelle on partage son sort dans la victoire comme dans la défaite, indépendamment des prestations de solistes. Suffit de voir le nombre d’épreuves en groupe (relais, tir à la corde, course en binôme boiteux, cavaliers de l’Apocalypse du pauvre…) pour finir de se convaincre que l’équipe prime sur chacun de ses membres. Coopération de rigueur, le Japon, quoi.
L’idée n’est donc pas de faire sa star et la jouer perso. Et même si l’esprit de compétition est très présent, l’objectif est moins d’écraser l’adversaire que faire gagner sa classe. Un peu comme ces athlètes hellènes qui concouraient pour leur cité. Ce n’est pas pour rien si les Grecs ont inventé en même temps les Jeux Olympiques, la Cité… et la phalange, c’est-à-dire la formation militaire qui demande une coordination et une cohésion parfaites entre chacun de ses membres.
Les héritiers de Sparte, c’est dans mes classes qu’il faut les chercher et pas ailleurs.