On m’a posé la question, j’y réponds : je ne suis pas mort à cause de Man-Yi.
Gné ? Man-Yi n’est pas un grand maître de kung-fu qui m’aurait défié en combat singulier mais un typhon.
Google est votre ami. Plus que moi en tout cas. Donc vous tapez, vous cliquez, vous cherchez, vous trouverez sans peine de quoi il retourne. Au moins les grandes lignes, parce que dans le détail, la presse francophone se montre fidèle à elle-même. Approximative. Partielle. Pitoyable. Facepalmesque.
Rendons à César ce qui lui revient. La presse anglophone ne vaut pas mieux, j’ai vérifié.
En soi, rien d’exceptionnel : un typhon traverse le Japon, il vente, il pleut, il mouille, c’est la fête à mes couilles la grenouille. En force, certes. Le fait est que Man-Yi est un costaud comme on n’en croise pas souvent. Mais bon, ce n’est ni le premier ni le dernier.
Man-Yi est le 18e typhon de la saison. Ou le 17e. Ou de l’année. L’âge du capitaine peut influer sur la précision de l’information. Petit indice, Man-Yi porte le numéro 1318 sur le site de l’agence méto japonaise – qui existe en version anglaise, langue accessible à n’importe quel journaliste pas trop demeuré. 18 comme 18e, 13 comme année 2013.
Man-Yi se déplace dans un espace à géométrie variable selon les articles qui tiennent compte ou pas du décalage horaire. Comme il n’est pas toujours précisé si l’heure mentionnée est locale ou française, ne vous étonnez pas de son don d’ubiquité.
“On” (qui ?) a procédé à l’évacuation de gens, 100000 ou 200000 ou 500000, ça dépend. Selon les organisateurs ? la police ? C’est pas une manif’, les gars… Montants qui laissent perplexes quand les journalistes parlent au plus fort de leur inénarrable précision d’un total d’un demi-million de personnes. La préfecture d’Aichi où Man-Yi a débarqué grimpe toute seule à 498000. C’est le chiffre qui a fait les gros titres ici et été repris ailleurs à la va-vite pour devenir canonique. En fait, faut pas juste lire les titres mais aussi tout le texte derrière. Ainsi, on apprendrait que Ōsaka et Kyōto doublent ce chiffre. Et on n’est encore qu’au point de départ ! Le trajet à travers le Japon n’a pas commencé que le score annoncé est largement pulvérisé. Il manque notamment Tōkyō, Fukushima et une bonne demie-douzaine d’autres préfectures. Les maths n’ont jamais été un de mes domaines d’excellence mais là quand même…
Dans les chiffres, toujours. Se fier aux estimations de précipitations de Météo France, qui n’est pas implantée sur place et se base donc sur son pifomètre à polarisation nawakesque, relève de l’incompétence crasse. Annoncer 190 mm de pluie à Kyōto au lieu des 300 qui sont réellement tombés… Décidément, on n’a pas le même système de calcul. Je préciserais juste qu’on trouve beaucoup d’infos de première main sur des sites japonais qui proposent une version anglaise aux lecteurs peu familiers des gribouillis tarabiscotés.
Dans la même veine de souci du détail, vous apprendrez qu’il est tombé des pluies “sans précédent”, avec guillemets de citation. Citation de ?… Ah, elle serait orpheline ?… Je ne suis certes pas passé par l’ESJ (et tant mieux, j’ai ma dignité), mais d’après mes études littéraires une citation s’accompagne d’un auteur, c’est même sa définition. La bonne réponse était la Japan Meteorological Agency (JMA). Et la phrase originale exacte était “unprecedented heavy rain”, témoignant d’une traduction approximative – heavy est passé où ?… On passera sur la moulinette des traducteurs automatiques qui pondent à propos d’une autre citation des “précipitations jamais expérimentées” fleurant bon l’anglicisme littéral.
Comme d’hab’, pour un phénomène qui concerne une bonne portion du Japon, une seule ville mérite qu’on s’y arrête : Tōkyō. Le vaste désert autour n’intéresse personne – sauf les 114 millions de Japonais provinciaux, mais c’est un détail. Quoique cette fois, le prestige de Tōkyō la Magnifique soit battu en brèche par Fukushima la Sinistre puisque Man-Yi lui est passé dessus.
Chapeau, enfin, pour désigner les préfectures comme des “provinces”. Le découpage en préfectures remonte à l’ère Meiji – 1885 pour sa version définitive. C’est pas récent quand même, faudrait se tenir au courant. J’imagine bien les journaux japonais parler d’élections en France dans le duché de Bourgogne…
Le tissu de conneries s’accompagne parfois de cartes qui valent leur pesant d’or.
Pourquoi la parenthèse “mer de l’Est” alors que cette appellation n’est utilisée qu’en Corée du Sud ? Pourquoi pas aussi “mer Orientale de Corée”, la version nordiste ? D’autant qu’à part les deux Corée, le monde entier parle de Mer du Japon. Même les Russes, pourtant rarement d’accord avec les Japonais. Et pourquoi accentuer Kobé ? Kōbe, à la limite Kobe, mais d’où sort cet accent ?…
Au-delà de ce détail orthographique trivial, une question essentielle. Selon quelles lois physiques se déplace Man-Yi ? D’un article l’autre, sa trajectoire varie jusqu’à 500 km. Et sur celle qui précède, le typhon aborde le Japon par un léger virage… avant de continuer en ligne droite mais alors droite de chez droite. Et fausse aussi, puisque selon cette carte, on se demande comment Tōkyō aurait pu être touchée, pourquoi une alerte a été émise pour Hokkaidō et surtout POURQUOI EVACUER UN QUART DE MILLIONS DE PERSONNES HORS DE KYOTO ?
Oui, parce que si je me fie à cette carte, je suis à mille années-lumière du moindre coup de vent, de la plus petite goutte de pluie. Pourtant, la seule préfecture de Kyōto compte 268000 évacuations ! 80000 foyers en sont revenus à frotter des silex faute d’électricité. Si j’avais eu des cheveux, les rafales à 120km/h auraient massacré mon brushing. On a vu dégringoler en une journée la pluie qui tombe d’habitude en l’espace d’un mois. Les autorités préfectorales ont même fait appel à l’armée – qui est un peu l’ultime recours au Japon quand on n’a vraiment plus le choix que d’en passer par elle. A deux pas de chez moi, la rivière Kamo a débordé et noyé les baraques sur ses rives. Le trafic du métro a été suspendu. J’en passe et des meilleures. Pourtant d’après la carte…
Au moins, on a pu tester le nouveau système des alertes d’urgence (特別警報, tokubetsu keihō) mis en place le 30 août dernier par la JMA. Un peu comme les alertes orange en France, sauf que là, on se situerait dans le rouge cramoisi vermillon écarlate. Je préfère me fier à leurs infos et à leurs cartes…
Le plus drôle, c’est que Man-Yi n’est même pas passé par chez nous. On se situe juste dans sa zone d’influence annexe dont j’ignore le nom technique. Quand je pense que ce qui s’est passé relève du collatéral, j’imagine à peine ce que ça peut donner de se retrouver en plein dedans.
A l’heure où j’écris ces lignes, le typhon relève déjà du souvenir. Le soleil brille, il fait 28°.
(Voilà qui devrais répondre à ta question, mon cher Enyoo. 😉 )
Un détail me chagrine. Pas les dégâts, les morts, les blessés, les disparus. Pour ça, faudrait éprouver de la compassion et ça… Normalement, un binz pareil aurait dû se solder par l’annulation des cours et une petite journée de congé cadeau.
Lundi, c’était férié.