Un Nouvel An plus très nouveau

Comme je le disais lors de ma dernière conférence de presse devant un parterre de journalistes venus des quatre coins du monde : “deux minutes, ça vient”. Je ne parlais pas de ce que vous êtes déjà en train d’imaginer si vous avez vu Police Academy et son triptyque pupitre-prostipute-turlutte.

Il va donc être question de notre réveillon du Nouvel An. J’aurais pu aborder le sujet plus tôt mais non.
Depuis un bail, je ne fête plus le Nouvel An. Ça m’emmerde, tout simplement. Les réjouissances sur commande me cassent les burnes. Les litanies sans fin de vœux crachés automatiquement me donnent des envies de meurtre. Tout comme ces pieuses résolutions pour (se) donner à croire que le changement c’est maintenant alors que dès le lendemain, elles auront rejoint les limbes de l’oubli. Je cherche encore en quoi changer d’année relève de l’événement extraordinaire qui mérite un foin pareil. Dans la même veine, pourquoi pas un Nouveau Mois ? ou carrément un Nouveau Jour ?
Bref, pour dire les choses poliment, le Nouvel An et son tralala me font chier la bite à un point qui troue le cul, pire que s’asseoir sur un bâton de dynamite allumé.

Au Japon, le Nouvel An, c’est la grosse chouille, la java XXL, une fête méga importante. Je sentais le coup venir qu’il n’y aurait pas moyen d’y couper. Et j’avais raison. Mais comme j’avais pu esquiver le tout aussi chiant Noël en famille grâce à 10000 bornes de glacis défensif, je restais dans mes statistiques habituelles : 1 pensum subi, 1 autre évacué.

Comment ça se passe-t-y donc au Japon pour célébrer le Nouvel An ?
Sur le fond, la différence n’est pas flagrante avec les festivités en France. Au Nouvel An, l’année change (scoop !) ici comme là-bas. On réveillonne aussi en famille. Ou entre amis si on n’a pas de famille, ou entre voisins si on n’a ni famille ni amis, voire tout seul si on est un ermite orphelin et misanthrope en villégiature sur une île déserte. A minuit, on fait péter les vœux d’artifice et les feux de bonne année, à moins que ce ne soit l’inverse.
Donc qu’est-ce qui change et mérite qu’on en parle ? Déjà, c’est un des rares moments de l’année où les Japonais prennent des vacances. Beaucoup en profitent pour partir à l’étranger, ce qui laisse présager du pire. Parce que le concept “y a une fête chez nous donc on se barre ailleurs” pousse moyen à la confiance. Le premier réflexe quand on voit tout le monde faire ses valises, c’est de se dire que l’événement doit être bien lourdingue pour pousser ainsi à la fuite.
Dans les jours qui précèdent le 31, pas question de se tourner les pouces. Ici aussi, on aime bien démarrer l’année sur de bonnes (mais fumeuses) résolutions. Au-delà de tout le blabla de circonstance à base de “je vais arrêter de fumer/boire/tromper ma femme/tripoter des enfants”, on procède à l’ōsōji (大掃除). On règle ses affaires et ses dettes comme à l’article de la mort, histoire de remettre les compteurs à zéro. On répare ou on jette tous les trucs pétés dans la maison, on range de la cave au grenier, on nettoie la baraque de fond en comble. Bref, un grand nettoyage de printemps mais en hiver. Plus qu’une simple remise en ordre, il s’agit d’un de ces rites de purification dont les Japonais sont friands. Comme chez nous, la maison est aussi ordonnée qu’un baraquement militaire avant inspection, l’affaire fut rondement menée et j’ai pu éviter de sortir le lance-flammes pour tout purifier à ma sauce.
La coutume est de décorer la maison, histoire de remplacer un foutoir inutile par un autre. On citera le kadomatsu (門松), une composition généralement à base de pin et de bambou et sur laquelle on place ornements et offrandes. Disposée à l’entrée de la maison, elle abrite un kami, parce qu’ici quand on reçoit, on invite des hôtes de marque et pas des beaufs qui font tourner les serviettes. Dans l’art floral nippon, l’arbre fait office de lien entre le ciel et la terre, l’humain et le divin, la symbolique est donc évidente et pas si éloignée des origines païennes du sapin de Noël. Idem pour l’aspect de renouveau associé à la végétation, plus pertinent du temps où le Nouvel An avait lieu à une date plus proche du printemps, ce qui n’est plus le cas depuis le passage au calendrier grégorien en 1873. Toujours sur la porte, à croire qu’on l’encombre pour empêcher quiconque d’entrer, on dispose une corde tressée (注連縄, shimenawa), qu’on trouve habituellement autour des sanctuaires et de certains arbres ou rochers pour délimiter une aire sacrée donc pure. D’où le rite de purification mentionné précédemment. Une fois la période de festivités terminée, on crame le tout pour que le kami s’échappe en chevauchant les volutes, tel un ninja disparaissant avec un rire diabolique après avoir balancé une bombinette fumigène.
Dans le même temps, on envoie ses cartes de vœux par la poste pour qu’elles arrivent pile le Jour de l’An. Pas question comme en France que les envois traînent des jours et des jours et s’égrennent jusqu’au 31 janvier. Cette pratique recule depuis quelques années avec l’essor du SMS. Cet exercice auquel j’ai dû me prêter vis-à-vis de la belle-famille, des collègues et de quelques relations s’avère passablement chiant. On recopie encore et encore les mêmes formules toutes faites, clichés et poncifs de politesse. Tu me copieras 500 fois “je te souhaite une bonne année et gnagnagna”. Une vraie punition.
Heureusement, pour s’en remettre, on picole sec. Car dans le même temps, on sort entre collègues et entre amis dans les izakaya (居酒屋), l’équivalent local des bistrots français. Ces bōnenkai (忘年会) servent à “oublier l’année” (c’est même la traduction littérale) et quoi de mieux pour oublier que la gnôle. Bon, y a les eaux du Léthé aussi, mais on en trouve moins facilement. A noter qu’on remettra le couvert avec les mêmes une fois l’année entamée (on parle alors de 新年会, shinnenkai). A ce stade, je commençais sérieusement à appréhender du réveillon. Entre ceux qui se barrent en voyage et ceux qui noient leur mémoire dans l’éthanol, on a envie de leur dire qu’il ne faut pas se mettre dans des états pareils juste pour un changement de date.

Arrive enfin le soir du 31 et son fameux réveillon (大晦日, ōmisoka). La réunion de famille comprend, outre votre humble serviteur ma pomme : ma dulcinée Yumiko, ses parents, ses grands-parents, sa sœur Kaeko accompagnée de son mari et leur fille Miyu. Là, déjà, je sens poindre le moment super relou des vœux à minuit, parce que ça fait beaucoup de monde, donc beaucoup de répétition des mêmes formules en mode perroquet. Sans parler des multiples courbettes qui vous fusillent les lombaires.
Pour la bouffe, plutôt que vous embarquer dans les termes techniques culinaires, je vous renvoie ici. Vous saurez tout sur le zizi la gastronomie du Nouvel An. M’enfin dans un premier temps, vaut mieux pas trop crever la dalle en arrivant, parce que le menu est ultra light : une soupe symbolique et basta.
Ensuite, on attend patiemment minuit. Comme c’est palpitant. (Bon, là, j’admets être de parfaite mauvaise foi, la compagnie fut agréable et on n’a pas vu le temps passer.)
Minuit arrive et ses douze coups retentissent (sauf pour les bouddhistes qui profitent de 108 coups de cloche supplémentaires). Passé le calvaire des bonne année, bonne santé, longue vie, prospérité sur ta famille et ta maison et ton chien et la tête alouette, chacun se harnache pour sortir. On repatiente le temps que ces dames se changent. Parce qu’il n’est pas question de sortir attifés comme des clodos. Dans la famille, c’est grande tenue obligatoire pour cette sortie. Les nanas revêtent leur kimono spécial Nouvel An (une fête = une tenue spécifique, je ne vous raconte pas le budget fringues des grandes occasions).
Direction le sanctuaire (ou le temple pour les bouddhistes) pour le hatsumōde (初詣). Première visite religieuse de l’année au cours de laquelle on se livre à la première prière en brûlant le premier bâton d’encens pour la première purification. On se réchauffe grâce au premier verre de sake (屠蘇, toso). Nouvelle cohorte de vœux divers et (a)variés… Dans la foulée, on tire les omikuji (おみくじ) qui ne sont malheureusement pas des prêtresses mais des prédictions inscrites sur des bandelettes de papier. Un peu comme si la Momie rencontrait Madame Soleil. Vous saurez donc ce que les dieux vous ont réservé dans la grande loterie de la vie. Dans mon cas, la perte d’une dent brillait par son absence, aussi émets-je quelque réserve quant à l’efficacité de cette pratique. Qu’elle soit religieuse, coutumière ou sociale, cette première visite draine vers les édifices religieux toute la population japonaise ou presque (je n’ai pas recompté). Les grands temples/sanctuaires se remarquent d’ailleurs à leur file d’attente longue comme l’organe de Rocco. Les lieux ne désemplissent pas pendant plusieurs jours. Par chance à Kyōto la surabondance de lieux de culte permet facilement d’en trouver sans patienter trois plombes dehors à se cailler dans la nuit hivernale.
Là-dessus, on rentre au chaud à la maison et enfin on se tape la cloche ! A table ! J’ai fait honneur à tous les plats, en conformité avec ma réputation d’ogre ayant une colonie de vers solitaires à rassasier.
Enfin dodo. Ou plutôt sieste. Car la nuit est déjà passablement avancée, mais il faudra quand même se lever aux aurores pour admirer le premier lever de soleil de l’année (初日の出, hatsuhinode) avec des cernes jusqu’aux genoux.
Puis vient l’heure du retour dans nos pénates où a lieu le premier allumage de PC de l’année (pour lequel il n’existe pas de formule prévue en kanji). Histoire que je puisse me livrer via webcam aux traditionnels vœux à la famille qui réveillonne en France. Le genre de moment épique avec mon grand-père qui a toujours un peu de mal avec le concept de parler à un écran avec un mec qu’il voit mais qui n’est pas vraiment là.
Enfin dodo (bis) pour de bon. Ou plutôt, pour être précis, baise-dodo, mais on ne va pas rentrer dans les détails scabreux.

La suite a été beaucoup plus calme. Entre les vacances, les magasins fermés, la coutume de ne rien faire pendant les premiers jours de l’année, l’activité est au point mort. D’ailleurs, si vous comptez venir vous faire un réveillon à la japonaise, c’est comme venir pendant la Golden Week : une idée à la con. Sauf à rendre visite à des amis japonais, si vous y allez purement en touristes, vous tomberez sur des portes closes pour cause de congés, des avions et des trains bondés puisque tout le monde rend visite à sa famille pour échanger des vœux. Par chance, le gros de la famille de Yumi étant rassemblé au réveillon, on a échappé à la tournée des grands ducs. Le boulot de copiste sur les cartes de vœux a réglé la question avec les plus éloignés.
Il y a quelques autres coutumes qu’on n’a pas eu l’occasion de tester, notamment celles associés aux enfants faute d’en avoir. Sachez qu’ils bénéficient entre autres des étrennes sous forme d’enveloppes garnies de tunes (お年玉, otoshidama), ce qui peut pousser certains à faire de la politique pour continuer à en toucher.
L’année prochaine, peut-être, on ira s’offrir un bain de foule le 2 janvier, jour où l’Empereur présente ses vœux au bon peuple. Ce sera l’occasion de pénétrer dans le Palais Impérial de Tōkyō qui est normalement fermé au public 363 jours par an (l’autre exception étant l’anniversaire de l’Empereur le 23 décembre).

Pour conclure, quelques expressions clés en main.
Jusqu’au 31 décembre, on souhaite yoi otoshi o (良いお年を) en abrégé ou, moins courant, 良いお年を迎えてください en version longue. A ma connaissance, il n’existe pas de version 3D ou Director’s Cut.
A partir du 1er janvier, on se souhaite 新年明けましておめでとうございます, généralement en dégageant le début (pas besoin de préciser “nouvelle année”, 新年, parce qu’on s’en doute un peu vu la date) et la fin (le ございます formel). Reste donc 明けましておめでとう (akemashite omedetō).