Téléphone maison

Qui suis-je pour l’administration japonaise ?
Réponse :

alien

En fait, je suis blanc et terrien. Ma queue n’est pas aussi longue et se situe devant plutôt que derrière. Mon sang, composé à 75% de caféine, ne corrode pas le métal. Mon seul point commun avec la créature de Giger réside dans notre amabilité légendaire.
Bon, le fait est qu’avec les différences culturelles, un gaijin sera toujours un extra-terrestre aux yeux d’un Japonais et réciproquement. Pour autant, le bout de mon index ne brille pas, je ne suis pas amoureux d’un géranium et je ne fais pas voler les petits vélos à part celui que j’ai dans la tête.

En France déjà on me considérait comme un alien. Au Japon… euh, pareil. Sauf qu’ici, c’est officiel !
Comme tout étranger dans un pays étranger (c’est clair, non ?), j’ai eu le droit de me plier à diverses formalités, remplir quelques tonnes de paperasserie et recevoir en retour un petit bout de papier. Ce titre de séjour s’appelle presque comme moi : gaikokujin tōroku shōmeisho (外国人登録証明書). On l’appelle aussi gaitōshō (外登証), Alien Registration Card ou ARC.

Le choix des mots, le poke des photos

Pourquoi tous ces noms où on s’y perd ?
Déjà, vous noterez qu’il n’est pas question de gaijin. Le terme étant perçu comme péjoratif par ces cons d’Occidentaux les étrangers, l’administration s’est rabattue sur le terme gaikokujin (cf. mon laïus sur le sujet) pour accoucher d’un certificat (shōmeisho) d’enregistrement (tōroku) des étrangers (gaikokujin).
L’appellation gaitōshō est la forme abrégée. La langue japonaise compose ses abréviations en reprenant le premier kanji de chaque mot sur le même principe qu’accoler les initiales dans les langues occidentales.
Enfin l’expression Alien Registration Card est la version “pour étrangers”. Beaucoup n’étant que des péons vaguement voire pas du tout nippophones – et on sait tout le bien que je pense d’eux –, les formalités administratives peuvent se faire en anglais au lieu du japonais. Ce qui fait donc du terme alien la dénomination anglophone officielle des étrangers. A se tordre de rire quand on sait que gaikokujin a été choisi à la place de gaijin pour ne pas paraître offensant. Beaucoup de résidents étrangers doivent en effet largement préférer se faire traiter d’alien…

Comment ça se passe concrètement pour devenir un alien ?

Le Japon est un pays civilisé. On ne vous collera donc pas de face hugger sur la figure et les autorités ne vous enlèveront pas dans leur vaisseau spatial pour vous sonder le rectum. On se contente de vous remettre un document avec la marche à suivre lorsque vous passez par la douane à l’aéroport.
La procédure est obligatoire pour les séjours dits “de longue durée” (plus de 90 jours) qui impliquent déjà au départ un visa du même nom, assorti de paperasses diverses selon ce que vous comptez faire (par exemple, Certificate of Eligibility si vous comptez exercer une activité professionnelle). Les formalités pour l’ARC sont à remplir impérativement dans les 90 jours suivants l’arrivée sur le sol nippon.
Outre le côté de pur flicage inhérent à toute administration, l’ARC sert à tirer des flèches prouver la légalité de votre présence sur le territoire en cas de contrôle par la police (ce qui implique donc de se promener avec et de ne pas le perdre), ouvrir un compte bancaire (toujours pratique si vous bossez), souscrire un abonnement pour un téléphone portable (perso, je squatte celui de Yumi) ou encore passer le permis (ce qui ne risque pas de m’arriver vu mon amour pour les voitures).

La demande d’ARC ne se dépose pas à l’armurerie officielle de Robin des Bois mais auprès de la municipalité dont vous dépendez, donc celle de votre lieu de résidence. Vous vous présentez avec votre passeport et deux photos (à faire sur place pour être sûr qu’elles cadrent avec les critères requis) et vous remplissez un formulaire en japonais ou, pour les nases, en anglais.
Je ne vais pas rentrer dans le détail des informations demandées pour 4 raisons. 1) Vous vous en foutez probablement. 2) Elles sont faciles à trouver. 3) Elles relèvent du simple bon sens et sont des classiques administratifs (nom, date de naissance, nationalité, adresse, employeur, etc.). 4) Le sytème change en juillet 2012.

Au-delà de mes éternelles diatribes (justifiées) à l’égard des résidents non-nippophones, il faut avouer que connaître le japonais facilite considérablement la vie pour les démarches administratives, autant pour l’évidente compréhension linguistique que pour le contact. Surtout si en plus vous n’êtes pas doué en anglais… ou si vous tombez sur du personnel non-anglophone. Ne riez pas, ça existe.
Quand je suis allé déposer ma demande, je suis tombé sur une dame charmante et polie comme… une Japonaise. Donc très très polie (un Japonais poli, c’est un pléonasme à dire vrai). Et qui a commencé par s’excuser de ne pas pouvoir me répondre en anglais puisqu’elle ne le parlait pas. Typique de la 4e dimension japonaise. Je me suis adressé à elle en japonais, ce qui aurait dû lui mettre la puce à l’oreille sur le fait que je parlais sa langue. Mais vu ma tronche de fromage blanc, elle restait sur son idée que je parlais plutôt anglais. Admettons. Sauf que c’est en japonais qu’elle m’a dit qu’elle ne parlait pas anglais. Un peu ballot si elle partait du principe que je ne comprenais pas le japonais. Bref, ayant été confronté (trop souvent) à la tentaculaire administration française si riche aussi en dialogues de sourds et saynètes délirantes digne des Douze Travaux d’Astérix, j’étais en terrain connu, donc pas désarçonné. On a donc échangé diverses excuses par rapport au quiproquo linguistique – en fait, quand vous savez dire que vous êtes désolé, vous maîtrisez la moitié du vocabulaire d’une conversation de base. Et là, l’avantage de maîtrisier la langue, c’est qu’en plus de comprendre dans le texte les documents à remplir (qui sont bilingues quand même), vous posez poser toutes les questions complémentaires que vous voulez et obtenir la réponse exacte plutôt qu’une approximation anglophone. Et par-dessus le marché, on était sur le même plan, d’égal à égal. Elle est donc passé du stade “souriante et polie” au stade “très souriante, très polie et très aimable”. Comme quoi, ça aide pour le contact et le gaijin qui fait l’effort de parler un minimum la langue aura toujours droit à plus d’égards que la moyenne. CQFD.

Deux semaines plus tard environ, vous récupérez votre ARC (les flèches sont à votre charge). En attendant, le récépissé obtenu lors du dépôt de demande sert à… plus ou moins à rien, si ce n’est de pouvoir justifier si on le vous demande que votre situation est en cours de régularisation. Il va de soi que tout changement de situation ultérieur (déménagement notamment) est à signaler et ce dans un délai de 14 jours, sans quoi, en plus des nouvelles formalités à remplir, vous écopez au mieux d’une lettre d’excuses à rédiger au pire d’une éjection à coups de pompes dans l’arrière-train.

Une réforme sera mise en place à compter de juillet 2012. Ce sera la fin des aliens et l’arc se limitera pour moi au kyūdō. En effet, l’Alien Registration Card sera remplacée par une Resident Card (在留カード, Zairyū kādo). La refonte du système vise à centraliser et simplifier les démarches. Le fait est que sur le papier, les formalités administratives japonaises sont toujours simplistes, en tout cas sur les critères requis. En pratique, ça peut devenir très lourd et demander de courir à droite à gauche, notamment l’inscription sur divers registres dont je ne suis toujours pas sûr d’avoir compris le détail. J’avoue que dans le détail, je suis en pilotage automatique derrière Yumiko. Toujours est-il que Japonais et étrangers vivants au Japon seront inscrits sur le même registre, ce qui est très pratique pour les familles binationales (au pif, Yumi Japonaise et moi Français).

Alien Residence Card