Métro dodo

Assez sidérante au début, cette manie bien nippone de dormir n’importe où. Après, on s’habitue à voir des gens pioncer dans des endroits parfois improbables.  S’il n’est pas rare en France de roupiller en train ou de piquer du nez en métro, au Japon, on n’hésite à s’y endormir pour de bon.
Et on aurait tort de s’en priver. On peut taper une sieste sans risque de se faire dépouiller, le métro étant très sûr. Chose déjà moins imaginable à Paris ou New York, villes où la filière professionnelle pickpocket est un débouché courant à la fin de ses études de malfrat. A Lille, je ne saurais dire, mes trajets étaient généralement trop courts pour que j’ai jamais eu le temps de m’endormir profondément.
Alain Delon nous a appris qu’on ne réveille pas un flic qui dort. L’adage vaut également pour les Japonais. Le sommeil est chose sacrée et il ne viendrait surtout pas à l’idée d’une femme enceinte, d’une personne âgée ou handicapée de réclamer sa place prioritaire occupée par un type tout ce qu’il y a de bien portant mais très occupé à pioncer, royalement affalé sur son voisin. Faire preuve d’une exquise politesse envers des gens sans-gêne… ah, le Japon, conforme à sa tradition d’extrêmes et de paradoxes…

Le métro, en fait, c’est l’anti-Japon.
Respect ? politesse ? Oubliés quand il s’agit de s’accrocher à la dernière poignée ou au dernier bout de barre disponible, de plonger tel un kamikaze sur la seule place assise restante, de lancer une charge banzaï rien que pour pouvoir s’engouffrer dans une rame déjà bourrée à exploser. On reviendrait plutôt aux grandes heures des guerres féodales.
On sait également le Japonais peu friand de contact physique. Pour avoir encore parfois ce vieux réflexe de tendre la main pour dire bonjour, je le sais assez pour devoir la remballer les trois quarts du temps. Dans le métro, on ne se gêne pas pour transformer son voisin en oreiller.

Dormir, c’est bien. Se réveiller à la bonne station et pas “un pont trop loin”, c’est mieux. Tout le monde semble toujours se réveiller pile au bon moment. Il est rare qu’on entende l’équivalent de “merde, j’ai dormi trois stations de trop !”. Soit les Japonais ont une horloge interne du tonnerre, soit je les soupçonne de descendre dignement comme s’ils étaient arrivés à destination avant de repartir discrètement en sens inverse (auquel cas certains mériteraient un Oscar).
Surtout, le Japonais est ingénieux et n’a peur ni du ridicule (enfin si mais pas là) ni des trouvailles farfelues, pourvu qu’elles soient pratiques. Casque à ventouse portant mention de la destination, masque de nuit avec affichage électronique, simple post-it collé sur le front, tout est bon ! Il se trouvera toujours quelqu’un pour vous réveiller à temps, les Nippons n’étant pas fans des blagues de potache du style “on va le laisser dormir pour qu’il rate sa station”.

Sans parler de diverses bricolages à la McGyver pour apporter un relatif confort ou au moins limiter la casse, dormir debout étant 9 fois sur 10 synonyme de chute fracassante (sauf métro bondé où la pression de vos voisins vous maintient debout).

Bref, le métro japonais est un monde fabuleux, à l’image de ses usagers si… euh… dynamiques ?

Un « wagon-lit » du métro de Kyoto.